Génération bistouri: bienfaits et dérives de la chirurgie esthétique
Augmentation mammaire, liposuccion, chirurgie de l’abdomen et des paupières… À en croire la télévision et les réseaux sociaux, l’atteinte des standards de beauté procure une vie plus épanouie. Mirage ou réalité ? Mieux vaut éviter les attentes démesurées et bien choisir votre chirurgien, selon les témoignages de patients, de médecins et d’experts que nous avons interrogés.
Chirurgie esthétique : les hommes aussi !
Un implant mammaire, ce n’est pas pour la vie
Que faire en cas de chirurgie ratée ?
Chirurgie esthétique : racolage sur les réseaux sociaux
Audrey a 21 ans lorsqu’elle recourt à son augmentation mammaire. « Je voulais avoir une meilleure apparence et améliorer mon estime de moi », témoigne-t-elle. La jeune femme débourse alors 9 000 $ pour ses implants en gel de silicone. « J’ai suivi les conseils du chirurgien ; il ne m’a pas trop expliqué les risques », ajoute-t-elle. L’opération se passe bien, même si la patiente se retrouve avec une grosse distance entre les seins.
Six années plus tard, une échographie révèle la rupture d’une prothèse. Le silicone s’est répandu jusque dans les pectoraux et les ganglions. Un chirurgien établit un lien entre sa fatigue chronique, ses infections à répétition et la maladie des implants, dont elle n’a jamais entendu parler. Audrey débourse 17 000 $ pour tout faire enlever, nettoyer le silicone et effectuer un redrapage (lifting). « Avoir su, jamais je n’aurais demandé d’augmentation mammaire », regrette-t-elle.
La beauté à tout prix
Audrey n’est pas la seule à se retrouver déçue de son passage sous le bistouri, que ce soit à cause d’une intervention ratée ou en raison d’attentes irréalistes. Malgré tout, la demande pour les chirurgies esthétiques est en hausse. Leur nombre a grimpé de 28 % entre 2019 et 2023 aux États-Unis, selon l’American Society of Plastic Surgeons (ASPS). Les augmentations mammaires se classent deuxièmes au palmarès américain des interventions les plus populaires, juste derrière les liposuccions. Nous avons été incapables d'obtenir des chiffres pour le Canada et le Québec. L’Association des spécialistes en chirurgie plastique et esthétique du Québec (ASCPEQ) explique l’absence de statistiques par le fait que les chirurgies esthétiques sont effectuées au privé. Pourtant, c’est aussi le cas aux États-Unis. Son président, le Dr Éric Bensimon, n’a pas donné suite à notre demande d’entrevue.
La faute à une société individualiste centrée sur le physique ? « Nous voyons le corps comme un projet de vie individuel, auquel il faut travailler sans cesse, mais aussi comme une responsabilité », analyse Marc Lafrance, professeur de sociologie et directeur du Département de sociologie et d’anthropologie à l’Université Concordia, à Montréal.
Si Audrey a demandé une augmentation mammaire, c’est parce qu’elle participait à des « concours de fitness », dont les gagnantes affichent un physique bien proportionné et une poitrine généreuse. Pourquoi vouloir tous coller au même modèle ? « Des industries capitalisent sur ce désir-là, cultivé en nous depuis notre jeunesse, si bien que nous sommes conditionnés », dénonce la Dre Stéphanie Léonard, psychologue clinicienne spécialisée en image corporelle.
Maquillage, coiffure ou… bistouri?
« La chirurgie esthétique est devenue un moyen de ressembler aux modèles de beauté irréalistes exacerbés par les réseaux sociaux au même titre que la coiffure ou le maquillage », croit Stéphanie Léonard, également fondatrice de l’organisme à but non lucratif Bien avec mon corps.
Tout comme les injections antirides, les chirurgies pour remodeler l’apparence se démocratisent. Au-delà de leur clientèle traditionnelle de femmes matures, elles intéressent dorénavant les hommes, qui ont subi près de 15 % de ces interventions en 2023 dans le monde, selon l’International Society of Aesthetic Plastic Surgery (ISAPS). Surtout, elles séduisent de plus en plus de jeunes : la majorité des augmentations mammaires (54 %) et des opérations du nez (66 %) ont eu lieu chez les 18 à 34 ans, rapporte l’ISAPS.
Une revue systématique publiée dans le Journal of Plastic, Reconstructive & Aesthetic Surgery en 2022 rapporte qu’environ 20 % des candidats à la chirurgie esthétique souffrent d’un trouble dysmorphique corporel. Celui-ci se définit comme un décalage pathologique entre la perception de leur corps et la réalité. « Ils ne seront pas apaisés par la chirurgie, parce que leur trouble doit être traité en psychologie », prévient Stéphanie Léonard.
Pourtant, seuls 7 % des professionnels abordent systématiquement les problèmes d’image corporelle en consultation. La plupart découragent rarement les candidats, même ceux dont les attentes sont démesurées, selon les témoignages recueillis. « Cela vient de la combinaison de la pression des attentes du patient et de l’attitude du médecin, qui ne dit pas nécessairement non, soit pour faire plaisir, soit pour vendre une chirurgie », analyse le Dr Benoit LeBlanc, chirurgien plasticien et copropriétaire des cliniques Médispa Victoria Park.
Gare aux dérives mercantiles!
La plupart des interventions esthétiques sont effectuées au privé. En effet, la Régie de l’assurance maladie du Québec ne couvre que les chirurgies plastiques reconstructives, par exemple celles réalisées pour corriger une malformation congénitale ou pratiquées à la suite d’un cancer.
En clinique privée, le médecin, en plus de son rôle de soignant, joue aussi celui de vendeur, souligne Me Patrick Martin-Ménard, avocat spécialisé en droit de la santé. Et certains font parfois passer leur intérêt pécuniaire avant le bien-être des patients, convient le Dr Benoit LeBlanc.
Méfiez-vous des praticiens qui effectuent une augmentation mammaire en 20 à 30 minutes, ce qui est moins long qu’une pédicure. Leur productivité élevée leur permet d’offrir des tarifs alléchants, mais cette « approche Walmart » s’accompagne fréquemment de complications qui pourraient vous couter très cher. Le prix des augmentations mammaires varie en général de 9 000 $ à 13 000 $ avant taxes, tandis que celui d’une chirurgie correctrice peut dépasser 20 000 $.
Un autre piège à éviter : celui dans lequel tombent les patientes qui se font poser des implants sur les conseils de leur praticien alors qu’elles venaient pour un redrapage des seins et qui regrettent ensuite leur décision. « L’augmentation mammaire pourrait constituer une chirurgie plus rentable que le lifting pour votre médecin, partage le chirurgien plasticien Stephen Nicolaidis. Mais si vous vous sentez simplement insatisfaite de l’affaissement de vos seins, ce n’est pas ce dont vous avez besoin. »
Bien peser les risques
« Ce côté mercantile peut entrer en conflit avec les obligations du médecin, notamment celle de recueillir le consentement libre et éclairé [du patient] », soulève Me Martin-Ménard. En accord avec son code de déontologie, il doit vous informer du diagnostic, des options de traitement et des complications possibles, des plus fréquentes aux plus rares.
De plus, le Code civil du Québec exige un consentement écrit si les soins ne sont pas requis par votre état de santé. Ne signez jamais de formulaire sans le lire avec attention, et assurez-vous de poser vos questions directement au praticien. Le syndic du Collège des médecins du Québec reçoit différentes demandes d’enquête dans lesquelles la qualité ou la nature libre et éclairée du consentement est remise en cause par le plaignant.
Le Dr Stephen Nicolaidis estime que ses collègues banalisent les implants mammaires et qu’ils ne parlent pas assez des risques. Aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) impose aux médecins de discuter avec le patient, avant la chirurgie, de toutes les complications possibles. Infection, mauvaise position des implants, formation d’une coque fibreuse – une cicatrice douloureuse déformant les seins – et rupture des prothèses figurent parmi les plus fréquentes. Quant au carcinome squameux, un cancer rare mais agressif répertorié à ce jour chez 30 patientes dans la littérature scientifique mondiale, il constitue la plus grave.
Attention aussi à l’environnement dans lequel vous serez opéré. Les accidents graves liés ces interventions sont rares, mais des décès ont été rapportés au cours des dernières années. Pensons à cette quarantenaire décédée à la suite d’une liposuccion dans une clinique privée de Westmount en 2022 et à cette jeune femme de 25 ans qui a succombé à un pneumothorax après une opération du nez en 2008. « Le Collège des médecins devrait s’impliquer davantage sur la question de la sécurité des citoyens dans les cliniques privées », estime Me Martin-Ménard. De votre côté, renseignez-vous sur les professionnels qui seront présents lors de l’opération, leur expérience, l’équipement disponible et le protocole prévu en cas de complications.
Gérer vos attentes
« Ce qui détermine l’impact de la chirurgie esthétique, c’est la motivation derrière la démarche et les attentes », affirme Stéphanie Léonard. Ne vous attendez pas à ce qu’elle améliore votre estime personnelle, votre bien-être ou votre bonheur ! Cela dit, « elle peut probablement vous aider à vous sentir plus conforme aux normes de la société, donc plus belle », juge la psychologue clinicienne.
Dominique confie avoir attendu la retraite pour s’offrir un remodelage du bas du visage, pour 7 000 $. Malgré un mauvais contact avec le médecin et une perte de sensibilité autour des cicatrices, elle se dit satisfaite du résultat. « Je me ressemble, sans les bajoues ! » se réjouit-elle.
« Au départ, ce que j’observe, c’est une lune de miel dans la majorité des cas, partage Stéphanie Léonard. On a attendu cette chirurgie-là, elle nous coute cher, on a misé beaucoup dessus, et il y a une période où l’on a l’impression que l’estime de soi est rehaussée. » Elle constate cependant que ces effets s’estompent avec le temps, conduisant au retour de l’insatisfaction corporelle ou au besoin d’une nouvelle opération.
Véronique, quarantenaire, témoigne de ses interventions successives. Une première augmentation mammaire lui a donné « un résultat très naturel » dans la vingtaine. Elle a toutefois eu recours à une autre opération après ses grossesses, pour corriger des seins devenus « mous et inégaux ». Aujourd’hui, ses prothèses lui semblent trop grosses. Elle se résout à laisser la gravité effectuer son travail : son médecin lui déconseille un retrait, qui causerait la disparition totale de sa poitrine.
Comment choisir votre chirurgien?
« Effectuez vos recherches », recommande le Dr Benoit LeBlanc. En plus de demander conseil à des personnes de votre entourage, vous pouvez trouver une foule d’informations sur les réseaux sociaux.
Plusieurs groupes Facebook sont consacrés aux chirurgies esthétiques au Québec. Vous y trouverez des photos avant-après des opérations et des recommandations sur le choix du médecin. Demeurez vigilant : nous avons constaté que certains ont mauvaise réputation en ligne. Aussi, méfiez-vous des publications de certains médecins sur leurs médias sociaux.
Vous devriez également vérifier leurs antécédents disciplinaires et leur certification auprès du Collège des médecins du Québec. Celui-ci précise que les médecins qui effectuent des chirurgies esthétiques ne sont pas nécessairement des chirurgiens. Par exemple, un médecin de famille peut faire des augmentations mammaires, s’il détient la compétence et la formation pour le faire.
Chaque professionnel diffère en matière d’approche, mais aussi de technique. Pour faire le bon choix, il est recommandé d’en rencontrer de deux à quatre. Une première consultation coute en général de 150 $ à 200 $ plus taxes. « Je ne vois pas ça comme une dépense, mais plutôt comme un investissement pour vous assurer de trouver le médecin avec qui vous vous sentirez en confiance », mentionne le Dr LeBlanc.
Une fois la chirurgie effectuée, donnez-vous le temps de récupérer. Contrairement aux injections de Botox, associées à des effets presque immédiats, les opérations effractives (invasives), par exemple les liposuccions ou les remodelages du visage, nécessitent quelques semaines de convalescence avant que vous puissiez en apprécier les résultats. Guettez les signes d’infection éventuels, et n’hésitez pas à solliciter votre médecin en cas de questions : il est déontologiquement tenu d’assurer votre suivi.
Ils sont de plus en plus séduits par le bistouri, et ce, malgré la persistance des tabous entourant la chirurgie esthétique au masculin, notamment dans ses déclinaisons intimes.
Une augmentation mammaire n’est pas une opération unique : vous devrez sans doute, tôt ou tard, faire remplacer vos implants, voire les faire retirer définitivement, pour des raisons esthétiques ou de santé.
Si les médecins alertent depuis longtemps le public à propos des dangers du tourisme médical, beaucoup de patients opérés au Québec se montrent insatisfaits du résultat obtenu. Même ici, leurs recours sont limités.
De plus en plus de cliniques d’esthétique et de chirurgiens sont actifs sur les réseaux sociaux. Soyez conscient de leur influence sur vos choix !
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