Donner ou vendre son chalet pour une somme symbolique à ses enfants de son vivant ou le conserver jusqu’à son décès?
Par Chambre des notaires du Québec Partenaire de Protégez-Vous Mise en ligne : 03 juillet 2015

Marion a 70 ans et, elle possède un grand chalet. Elle n’en profite presque plus, contrairement à ses descendants qui y passent beaucoup de temps. Depuis quelques mois, elle se demande si elle devrait le conserver jusqu’à son décès ou le donner immédiatement à ses enfants. Quelle serait la meilleure décision pour elle ? Est-ce qu’une vente pour somme symbolique (ou « vente à un dollar ») serait préférable?
La réponse à la question de Marion dépend de sa situation.
Un choix personnel
Pour consentir une donation, conclure une vente en contrepartie d’une somme symbolique ou prévoir un legs dans un testament, il faut être en mesure de donner un consentement libre et éclairé. Est-ce que la personne a vraiment la volonté de donner ? Lui a-t-on plutôt fourni de fausses informations pour l’induire en erreur et la pousser à donner le bien ou à le vendre pour un dollar ? Pour que cette vente, donation ou testament soit valide, il faut que Marion ait donné un consentement exempt de toute erreur, de toute violence, menace ou manœuvres frauduleuses. Si le consentement est vicié, la transaction pourrait être annulée par un tribunal.
Il faut ensuite s’interroger sur les clauses spéciales que Marion désirera peut-être insérer dans l’acte de donation, de vente ou le testament. Par exemple, dans un testament, il est souvent prévu que l’héritage sera propre au légataire et ne fera pas partie du patrimoine familial ou des biens partageables au niveau du mariage. Par cette clause, on veut s’assurer que l’héritier n’aura pas à partager son héritage avec son ex-conjoint s’il divorce. Ce genre de clauses est également permis dans le cadre d’une donation, mais on ne peut pas les prévoir dans un acte de vente, même si le prix indiqué est 1 $ et qu’une telle vente ressemble beaucoup à une donation. C’est le même principe qui s’applique si Marion veut conserver un droit d’usage du chalet.
Les considérations financières
D’un point de vue financier, Marion doit se demander si elle a les moyens de donner, de son vivant, un bien aussi important qu’un chalet. Pourra-t-elle vivre convenablement, sans soucis financiers, jusqu’à son décès ? Par ailleurs, sera-t-elle en mesure d’acquitter l’impôt payable à la suite de la donation?
Certains pourraient recommander à Marion de faire des donations de son vivant afin de diminuer la valeur de son patrimoine. Elle pourrait alors, selon ce conseil, être admissible aux subventions gouvernementales relatives à l’hébergement des personnes âgées. Or la loi prévoit des règles rendant inopérant ce type de « planification ». Il s’ensuivra que le gouvernement refusera de payer l’hébergement, et que Marion devra solliciter ses enfants à cet égard.
Saviez-vous que la pension de la sécurité de vieillesse n’est pas acquise à tous ? En effet, un contribuable dont les revenus excèdent un certain seuil prévu par la loi sera tenu de la rembourser. Étant donné les règles fiscales expliquées plus bas, il est possible qu’une donation ait pour effet de réduire et même d’annuler les revenus de vieillesse qu’on retire du fédéral pour une année. Il est important de consulter et de vérifier cet aspect avant de procéder à une donation ou à une vente à un dollar.
Les considérations fiscales
À ce sujet, il existe un mythe suivant lequel il est préférable de donner du vivant pour éviter l’impôt au décès. Or depuis 30 ans, il n’y a plus d’impôts sur les successions au Canada. Qu’une personne reçoive un bien par donation ou par succession, il n’y a pas d’impôts pour elle sur la valeur du bien qu’elle reçoit, que ce soit un immeuble, une somme d’argent ou tout autre bien.
D’un point de vue fiscal, la donation du vivant et le legs au décès sont régis par des règles similaires. Ainsi, le donateur (celui qui donne) ou le défunt, selon le cas, sera réputé, pour l’impôt, avoir disposé du bien à sa juste valeur marchande. Si la valeur du bien a augmenté entre le moment où le donateur (défunt) l’a acquis et le moment où il est réputé en avoir disposé à la juste valeur marchande, il y aura réalisation d’un profit. Il faudra donc inclure ce profit dans la déclaration de revenus du donateur (défunt) pour l’année de la donation (ou du décès, selon le cas). Le montant d’impôt à payer dépendra du taux d’imposition du donateur (défunt), de la nature du profit (gain en capital, récupération d’amortissement), d’une exonération disponible, etc. Pour celui qui reçoit le bien (donataire ou héritier), les lois fiscales prévoient qu’il acquiert le bien à la juste valeur marchande. Ainsi, lorsqu’il revendra le bien, s’il réalise un profit par rapport à cette juste valeur marchande, il aura de l’impôt à payer (sous réserve des exonérations). Si, au contraire, il revend le bien à la même valeur, il n’y aura aucun impôt pour lui (sous réserve de la récupération d’amortissement).
Qu’en est-il de la vente dite « à un dollar » ? Est-elle régie par les mêmes règles sur le plan fiscal ? La réponse est non. Depuis plusieurs années déjà, les lois fiscales ont créé une présomption applicable au vendeur seulement. Ainsi, malgré une convention suivant laquelle le bien a été vendu pour un dollar, le vendeur est réputé l’avoir vendu à la juste valeur marchande. S’il réalise un profit du fait de cette présomption, il sera en principe tenu de payer un impôt. Donc, que Marion donne le chalet ou qu’elle le vende pour une contrepartie symbolique (un dollar) l’impôt à payer pour Marion sera en principe identique. Cependant, la situation pourrait ne pas être la même pour celui qui recevra le chalet. En effet, comme la loi ne prévoit pas de présomption pour l’acheteur à un prix différent de celui qui a été convenu, si l’acheteur ne réussit pas à convaincre le fisc qu’il s’agit en fait d’une donation déguisée et que les règles mentionnées ci-dessus concernant les donations doivent s’appliquer, il aura acquis le chalet pour un dollar. Lorsque le moment sera venu de le revendre, il réalisera un profit si le prix de vente est supérieur à un dollar. En conséquence, l’impôt sera payé en double. Voici un exemple. Marion a acquis le chalet au coût de 30 000 $. Au moment où elle le vend en contrepartie de la somme symbolique de un dollar, la valeur du chalet est de 100 000 $. Marion paiera de l’impôt sur un profit de 70 000 $. Si le fisc considère que la vente n’est pas en fait, une donation déguisée, son fils, qui a acquis le chalet moyennant un dollar et qui le revend pour la somme de 100 000 $, paiera de l’impôt sur un profit de 99 999 $. Pourtant le chalet n’a pas pris de valeur entre le moment de la vente à 1$ et la revente par le fils à 100 000 $! Il est donc important de déterminer si ces règles s’appliquent à vous avant de signer une « vente à un dollar ». Il est à noter que les « ventes à un dollar et autres bonnes et valables considérations » peuvent également être problématiques.
En conclusion, une telle décision ne doit pas se prendre à la légère. Elle nécessite d’abord une bonne planification financière et fiscale. Consultez votre notaire, il pourra vous aider.
Sources:
Code civil du Québec
Loi de l’impôt sur le revenu