Est-ce que l’huile de moteur a une date d’expiration?
Nadine Filion | 15 mai 2025, 11h35
Notre collègue Jean-Luc a de vieux bidons inutilisés dans sa cave. Il devrait lire ces conseils avant de s’en servir.
Avec l’air du printemps — et le grand ménage qui l’accompagne —, notre collègue Jean-Luc Lavallée s’est posé LA question : l’huile de ces vieux bidons jamais ouverts qui traînent dans son sous-sol depuis… il ne sait plus trop quand, est-elle sans danger pour le moteur de son véhicule ? Ou, au contraire, devrait-il s’en débarrasser en l’apportant à un point de récupération ?
Qui de mieux qu’Albert Côté-Séguin, ingénieur mécanique et directeur du département technique à l’usine montréalaise de lubrifiants TotalEnergies, pour nous renseigner !
PV : Est-ce que l’huile moteur a une date de péremption ?
Albert Côté-Séguin : Oui, l’huile a une durée de vie déterminée pour des raisons opérationnelles. D’un point de vue légal, comme fabricant, il nous faut donner une date d’expiration afin d’assurer un niveau de performance adéquat qui respecte les spécifications manufacturières associées au fluide en question, et ce, même après une période d’entreposage prolongé.
Dans notre jargon, ce seuil minimal est appelé la « durée limite d’utilisation optimale » — ou DLUO. Pendant cette période, nous garantissons que nos lubrifiants respectent les indices de performance, tels qu’énoncés dans leurs fiches techniques.
Mais parce que nous devons prendre en considération les pires conditions d’entreposage, cette durée de vie est très conservatrice : on parle généralement de trois à cinq ans, tant pour l’huile minérale que pour l’huile synthétique.
Bon à savoir : Les chiffres imprimés sur le bidon d’huile n’indiquent pas forcément la date d’expiration. Les deux premiers chiffres peuvent signifier l’année de fabrication… ou pas. Pour démystifier la chose, mieux vaut téléphoner au fabricant avec, en main, le nom du produit et le code en question pour en avoir le cœur net !
PV : Passé cette date, l’huile se transforme-t-elle en un dangereux fluide ?
AC-S : Non (rires). Au contraire, l’huile est un produit fini chimiquement stable. Lorsqu’on fabrique un lubrifiant, on assemble des molécules relativement simples. Et y intégrer des additifs n’entraîne pas de réaction ; c’est un peu comme ajouter du sel à de l’eau de cuisson.
Les fluides qu’on fait vieillir en entrepôt et qu’on teste ensuite conservent leurs propriétés plusieurs années après leur date de péremption. Entreposée dans les meilleures conditions possibles, une huile de 15 ans pourrait même encore être bonne !
En revanche, elle risque de ne plus respecter les normes manufacturières qui, elles, sont en perpétuelle évolution. Je vous donne un exemple exagéré : vous trouvez dans le garage de votre grand-père qui vient de décéder des bidons d’huile datant de 1970 ? Peut-être que l’huile est encore cohérente dans son amalgame chimique, mais elle n’est certainement pas conforme aux indices de performance requis par nos véhicules modernes !
Bon à savoir : Lorsqu’un bidon d’huile est ouvert, son contenu devrait être utilisé dans l’année qui suit. Il vous reste quelques dixièmes de litre de votre dernière vidange ? Conservez-les dans le coffre de votre automobile — et versez-les dans votre moteur en guise d’appoint, lorsque nécessaire.
PV : Que se passerait-il si on utilise pour un moteur une huile qui a perdu ses propriétés « de performance » ?
AC-S : Sans que ce soit dramatique, il y a un risque d’endommager le bloc-moteur — ou n’importe quel autre composant lubrifié, si on parle par exemple d’une transmission ou d’un différentiel.
Le problème n’est pas dans la stabilité mécanique du fluide, comme on vient de le mentionner, mais bien dans l’étanchéité, l’intégrité du contenant. C’est là le facteur limitant : même encore garni de son sceau, un bidon hermétiquement fermé est perméable à la toute petite molécule qu’est l’oxygène. Pareille contamination externe — l’oxydation — peut alors catalyser des résidus néfastes, ce qui fera perdre à l’huile ses propriétés lubrifiantes.
Un précurseur d’oxydation, comme de l’humidité solubilisée dans l’huile, peut dénaturer le lubrifiant de manière physique en altérant sa viscosité ou, encore, de manière chimique en vieillissant prématurément ses ingrédients — et ce, même sans utilisation.
Je suis moi-même un amateur de voitures et je respecte très, très, très scrupuleusement les recommandations du manufacturier. Personnellement, je n’utiliserais pas une huile dont je ne suis pas sûr de pouvoir certifier les indices de performance.
PV : C’est quoi, « conserver dans les meilleures conditions possibles » ?
AC-S : L’entreposage de l’huile doit se faire dans son contenant d’origine, que vous placez en position verticale — comme au magasin. Le milieu doit être sec, frais et bien ventilé. Assurez-vous que les éléments, comme la lumière du soleil, n’atteignent pas le bidon. Évidemment, vous voulez éliminer toute source possible d’inflammation.
La plage de température de conservation doit se situer entre 4 et 40 degrés Celsius, mais les fluctuations de température en tant que telles doivent être évitées. Prenez le temps de lire les fiches techniques qui indiquent les précautions d’entreposage nécessaires pour le produit que vous avez en main.
Bon à savoir : L’huile moteur, ce n’est pas comme le papier de toilette. S’il est un produit qu’il vaut mieux ne pas stocker en quantité industrielle, c’est bien le lubrifiant mécanique. Achetez la quantité nécessaire — pas moins, mais pas plus non plus.
PV : Peut-on jouer au sommelier et examiner la qualité d’une l’huile moteur neuve ?
AC-S : Non. Une huile neuve est translucide, d’une teinte claire à ambrée, et sa couleur n’a aucun impact sur sa performance. De fait, nos yeux donnent très peu d’informations pour identifier les performances d’une huile. Vous aurez d’ailleurs remarqué que tous les fabricants livrent leur huile dans des contenants opaques…
Cela dit, si une huile est noircie, c’est qu’elle contient des résidus d’oxydation. De même, si vous êtes capable d’identifier deux phases, comme une vinaigrette laissée quelques jours au frigo, c’est qu’il y a énormément d’eau dans l’huile. Dans un cas comme dans l’autre, mieux vaut s’en débarrasser.
PV : Donc, résumons : même si ses vieux bidons d’huile ont été conservés selon les règles de l’art, notre collègue Jean-Luc devrait-il les faire recycler ?
AC-S : Si votre collègue a une souffleuse à neige ou une tondeuse à gazon, il peut toujours utiliser cette huile dans ce type de produits « récréatifs », dont les moteurs quatre-temps sont nettement moins sollicités que pour une voiture. C’est là une belle avenue.
Sinon, oui, au Québec, toutes les huiles doivent être recyclées — et chaque commerce qui en vend doit être en mesure de la récupérer. En vertu d’une entente avec la Société de gestion des huiles usagées (SOGHU), des points de dépôt pour les particuliers se trouvent dans toutes les régions de la province. Comme pour la consigne des cannettes ou des bouteilles de verre, les frais de ce recyclage sont imputés à l’achat du produit.
Un fois au point de dépôt, ces huiles sont récupérées par une tierce partie, qui va ensuite les valoriser. On parle alors de RRBO — pour Re-refined based oil, ou huile reraffinée, si vous voulez. À partir de celle-ci, on fabrique d’autres lubrifiants, comme de l’huile à moteur, de l’huile hydraulique ou des fluides de direction.
Bon à savoir : La SOGHU regroupe plus d’un millier de points de dépôt au Québec — majoritairement des concessionnaires d’automobiles, des ateliers mécaniques mais aussi des municipalités. Vous trouverez ici le point de récupération le plus près de chez vous. Canadian Tire gère son propre programme de récupération d’huile.
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