Demander le RRQ avant 65 ans? Résistez, si vous le pouvez…

Emmanuelle Gril | 07 janvier 2025, 15h13

Alors, 60, 65 ou 72 ans ? Attention ! si vous commencez à toucher le RRQ trop tôt, vous pourriez bien avoir l’air du perdant ravi.

Imaginez : vous êtes au casino et on vous propose un jeu où vous avez 90 % de risque de perdre jusqu’à 160 000 $, mais seulement 10 % de chance de gagner au maximum 52 000 $. Que feriez-vous ? Pour ma part, je resterais très loin de ce divertissement dont je risque très probablement de sortir perdante.

Ces sommes correspondent pourtant à ce que peuvent perdre ou gagner les Québécois qui prennent leur retraite, lorsqu’ils font un pari sur la date de leur propre mort. S’ils décèdent avant 75 ans ― le « point de bascule » ―, ils remportent la mise, mais s’ils décèdent après, ils perdent. Or, s’ils anticipent leur demande de RRQ à 60 ans plutôt que de patienter jusqu’à 65 ans, la probabilité de perdre frise les 90 %...

Un gros trou dans le bas de laine

Malgré tout, environ 73 % des personnes prenant leur retraite demandent leur Régime de rentes du Québec (RRQ) avant l’âge de 65 ans, en moyenne à 62,2 ans.

Ce faisant, elles font un gros trou dans leur bas de laine, car recevoir cette rente trop tôt a pour effet de la réduire de 0,50 à 0,60 % par mois entre 60 et 65 ans, soit environ 7,20 % par an et 36 % sur cinq ans. Concrètement, au lieu d’une rente maximale de 1 364 $ à 65 ans, vous toucherez seulement 873 $ en la réclamant à 60 ans, et ce, jusqu’à la fin de vos jours !

Inversement, repousser au-delà de 65 ans bonifie la rente de 8,40 % par an, pour un maximum de 58,80 %. En patientant jusqu’au plafond de 72 ans, vous recevrez alors 2 166 $ par mois.

Adieu rationalité !

Pour éveiller les futurs retraités à cette réalité et les aider à faire un choix plus éclairé, deux professeurs au département des sciences comptables de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), Marc Bachand et Nicolas Lemelin, ainsi que le conseiller financier et chargé de cours Nicolas Monette, ont publié en novembre 2024 un cahier de recherche intitulé Le choix du RRQ : le pari du perdant ravi.

« Au Québec, environ 100 000 personnes atteignent l’âge de 60 ans chaque année et doivent prendre cette décision. Or, c’est un sujet mal compris et plusieurs biais cognitifs entrent aussi en ligne de compte », explique Marc Bachand.

Il remarque que la force d’attraction d’avoir la possibilité de toucher son RRQ dès 60 ans est très puissante et nuit à la pensée rationnelle. À notre décharge, il faut dire qu’il s’agit d’un sujet très complexe où l’on prend littéralement un pari sur l’âge de notre propre mort. Là où le bât blesse, c’est lorsqu’on imagine que l’on pourrait mourir à 64 ans et demi, c’est-à-dire quelques mois à peine avant de commencer à percevoir le RRQ sans pénalités, et passer à côté du pactole ! Pourtant, les probabilités de décéder entre 60 et 64 ans et 11 mois ne sont que de 2,5 %...

Perte voilée et ignorée

Mais ce n’est pas tout, car le biais d’aversion à la perte pèse également lourd dans la balance. En raison de ce biais, on souffre deux fois plus à l’idée de perdre quelque chose qu’on ne ressent de plaisir à l’idée d’obtenir un gain équivalent. « Les individus sont très sensibles à cette perte, mais ne voient pas celle qu’ils vont subir plus tard. Elle n’est pas perçue ou vécue comme telle, au contraire, elle est ignorée. Comme le dit l’adage : un tiens vaut mieux que deux tu l’auras, et cette croyance est bien ancrée dans l’inconscient collectif », constate l’expert.

Or, les contribuables qui décèdent après 75 ans subissent des pertes importantes s’ils ont réclamé leur rente du RRQ à 60 ans. Pour chaque année au-delà de cet âge, 5 895 $ par an leur glissent entre les mains. « C’est une perte voilée où l’individu ne ressent aucun inconfort. Dans le cas d’un décès à 90 ans, la perte associée au choix du RRQ à 60 ans serait de 88 425 $ », précise Marc Bachand. À 100 ans, le manque à gagner grimperait à 160 000 $.

On vit plus longtemps qu’on ne le pense

Une mauvaise compréhension des statistiques relatives à l’espérance de vie entache aussi le raisonnement. Ainsi, on confond souvent espérance de vie à la naissance et espérance de vie à 65 ans. Évaluée à partir de la naissance, l’espérance de vie est de 80,7 ans pour les hommes et de 84,3 ans pour les femmes. Mais, si on la calcule à partir de 65 ans, elle s’élève à 84,6 ans pour les hommes et 87 ans pour les femmes. Pourquoi ? Parce qu’une partie de ceux qui « abaissaient » l’âge moyen du décès ont déjà quitté le navire…

De plus, un homme ou une femme qui est aujourd’hui âgé de 50 ans a 15 % de chance de vivre jusqu’à 100 ans. Malgré tout, on sous-estime encore le nombre d’années durant lesquelles on sera à la retraite.

Autre biais dans notre manière de calculer : le point de référence de 65 ans pour la retraite a été fixé en 1966 alors que l’espérance de vie était de 72 ans. Or, il n’est plus représentatif de la réalité actuelle et fausse la perception de la population.

Marc Bachand tient néanmoins à nuancer son propos. « L’idée derrière notre cahier de recherche est d’amener cette grande discussion dans l’espace public et non pas de proposer une recette, dit-il. Ultimement, il faut analyser la question en tenant compte de la situation de chacun. » Par exemple, une personne dont l’espérance de vie serait réduite en raison d’un problème de santé aurait sans doute intérêt à devancer son RRQ.

Alors, si vous avez 60 ans cette année, réfléchissez bien avant d’agir !

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