Qui paiera réellement la taxe sur les véhicules électriques chinois ?
Alain McKenna | 27 août 2024, 13h47
100 % de tarifs douaniers sur les VE fabriqués en Chine, 25 % sur l’acier et l’aluminium. Qui paiera la note, selon vous ?
Ottawa imite Washington et compte imposer des tarifs douaniers de 100 % sur les véhicules électriques fabriqués en Chine.
Le mot-clé, ici, est « électrique ». Il faut savoir que General Motors assemble en Chine certains véhicules à essence de ses marques Buick et Chevrolet ; pas de surtaxe pour ces véhicules-là et personne n’est monté au créneau pour ça.
En revanche, Tesla verra ses véhicules produits à Shanghai taxés au Canada, car ils traverseront l’océan. Et ce sera la même chose pour les marques européennes Polestar et Volvo, propriétés du conglomérat chinois Geely.
En plus des véhicules électriques, le Canada ajoute une taxe de 25 % sur l’acier et l’aluminium chinois vendus en sol canadien. Cette autre taxe aura peut-être plus d’impact que celle sur les véhicules, étant donné que des constructeurs chinois de véhicules électriques légers présents au Canada, on n’en compte actuellement aucun.
Le constructeur chinois BYD a bien vendu il y a quelques années à une entreprise de Montréal des véhicules qui sont devenus des taxis. Sa division d’autobus a une usine en Ontario. Mais c’est tout.
Des options autres qu’une surtaxe
Cette taxe n’était pas la seule mesure envisageable pour le gouvernement canadien. On aurait pu proposer une obligation d’investissement ou de fabrication au Canada, par exemple. On aurait même pu exiger que les constructeurs étrangers qui vendent au Canada respectent certains engagements environnementaux (réduire leurs déchets), sociaux (bien payer leurs employés) ou de gouvernance, plutôt qu’imposer une taxe.
Le résultat aurait été le même : Ottawa espère ainsi protéger l’industrie automobile canadienne de ce qu’il considère comme « un avantage injuste » que possèdent les constructeurs d’automobiles chinois. Le gouvernement chinois a généreusement aidé son industrie des véhicules électriques depuis plusieurs années, si bien que les constructeurs peuvent vendre leurs produits à des prix défiant toute concurrence.
Les plus cyniques diront que c’est l’avantage d’avoir une économie dirigée comme celle de la Chine : quand le gouvernement chinois a décidé de prendre le virage électrique, ça n’a pas tardé. La réalité est évidemment plus nuancée. La preuve : BYD, le constructeur chinois le plus en vue à l’heure actuelle et qui vient de dépasser Tesla au sommet des ventes mondiales de véhicules électriques, compte parmi ses plus grands investisseurs la firme américaine Berkshire Hathaway, du milliardaire Warren Buffett.
Détail non négligeable que Buffett a certainement noté lui aussi : la Chine produit à peu près tous les métaux rares indispensables qui permettent de fabriquer les batteries de nombreux véhicules électriques. C’est un gros atout pour son industrie.
Surtaxe : un effet instantané mais inégal
Le Canada emboîte le pas aux États-Unis, ainsi qu’à l’Union européenne qui taxe, elle aussi, depuis le 5 juillet, les véhicules électriques chinois vendus sur son territoire. L’Europe est la plus affectée des trois par l’arrivée des marques chinoises, même si leur part de marché n’excède pas 8 % du marché automobile du Vieux Continent.
En Europe, la taxe en question a eu un effet immédiat sur les ventes : selon Bloomberg, il s’est vendu 36 % moins de véhicules chinois en juillet dernier, par rapport à juillet 2023.
Dans le détail, l’impact varie d’une marque à l’autre, et ça ne fait pas mal qu’aux sociétés chinoises. Polestar a vu ses ventes reculer de 42 % sur la même période. La marque britannique MG a subi un recul de 20 %. BMW, Stellantis et Tesla, quant à elles, ont vu leurs ventes baisser également.
Mais, dans le même temps, en juillet dernier donc, BYD a vendu près de trois fois plus de véhicules en Europe qu’en juillet 2023.
Des baisses de prix moins marquées
Ils sont rares, les secteurs manufacturiers dont l’essentiel de la production n’est pas concentré en Chine ou en Asie. Le secteur automobile est le plus important de ces secteurs. Il représente 3 % du PIB nord-américain. La montée de l’industrie chinoise provoquée par le virage électrique du transport fait peur aux gouvernements occidentaux.
S’il y a un effet qui risque de se faire sentir jusque dans les poches des Canadiens, c’est celui sur le prix des véhicules neufs. Les mesures protectionnistes vont ralentir la baisse graduelle du prix des véhicules électriques vendus chez nous.
Elles ne les freineront pas entièrement.
BYD vend au Mexique un petit VUS tout électrique, appelé Yuan Plus. Son prix de détail est de 800 000 pesos (environ 55 000 $). C’est 9000 $ moins cher que le prix du CR-V hybride vendu par Honda en sol mexicain.
BYD vient tout juste d’inaugurer une usine au Mexique où elle produira le Yuan Plus. Dans le cadre de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), rien ne l’empêcherait de vendre plus de modèles Yuan chez nous… et de contourner les nouveaux tarifs douaniers.
L’ACEUM renégocié en 2026
Le hic, c’est que l’ACEUM doit être renégocié en 2026, et on ne sait pas encore qui sera à la table de négociation. L’administration de Donald Trump ? Et au Canada, celle de Pierre Poilievre? Si c’est le cas, tous deux ont des positions très protectionnistes face à la Chine, mais sont contre toutes les formes de taxes et d’incitatifs à l’achat.
Les constructeurs américains et canadiens comme Ford ou Toyota (eh oui, Toyota est le plus grand constructeur d’automobiles au Canada) aimeraient qu’on réduise, ou même qu’on élimine, les cibles d’électrification. Ford ne cesse de reculer sur ses propres objectifs d’électrification. Toyota rêve d’hydrogène, mais vise 2050.
Alors, allez savoir comment ça se terminera.
Sans doute que les marchés régionaux comme le Québec, la Californie et New York, qui se sont déjà engagés fermement en faveur de l’électrification, continueront dans cette voie.
Mais le prix à payer sera plus élevé qu’il aurait pu l’être.