Machines à fric

Mathieu Charlebois | 05 décembre 2023, 14h05

Les machines devaient nous libérer du travail.

Pourquoi suis-je en train de scanner moi-même mon épicerie pendant que ChatGPT écrit des poèmes? 

Les caisses libre-service existent depuis 1986. Ça aura pris plus de temps que prévu, mais elles sont aujourd'hui partout. Il arrive même, lorsqu'on achète quelques cossins en plastique dans une succursale de l’Empire du Dollar, que l'option de se faire ignorer par une caissière blasée mais bien humaine ne soit même pas offerte.

Après trois décennies de développement, et devant un déploiement aussi massif, on serait en droit de s'attendre à une mécanique bien huilée. Or il semble, pour citer une personne proche du dossier, qu'un article inattendu a été déposé dans la zone d'emballage.

Comme bien des choses en ce monde, ces machines ont été conçues sans penser aux personnes avec un handicap. Si vous êtes en fauteuil roulant, l'écran est souvent trop haut. Et, bien que la caisse libre-service du Pharmaprix semble avoir comme but de me rendre sourd tellement elle parle fort, celle-ci n'offre aucun repère aux personnes aveugles.

Avez-vous la carte fidélité? Utilisez-vous vos propres sacs? Voulez-vous donner aux enfants malades? Regrettez-vous tous les choix de vie qui vous ont mené à ce moment? Oui, oui, non, et oui. À ma dernière épicerie, on m'a posé pas moins de sept questions à choix multiples avant de me laisser payer. C'est trop! J'ai déjà vu ma mère utiliser un ordinateur. Elle lit en détail chaque fenêtre qui s'affiche. Devant ce questionnaire de Proust du mode de paiement, elle va bien y passer la journée.

Les robots devaient prendre en charge les tâches plates et nous laisser une société des loisirs et des vies oisives, remplies de sculptures et de poèmes. Aujourd’hui, me voilà plutôt à faire un travail que quelqu'un faisait pour moi avant, rémunéré, pendant que la Silicon Valley développe des intelligences artificielles qui écrivent des haïkus.

On nous les présente comme plus rapides et plus efficaces, mais les études démontrent que les caisses libre-service ne nous font pas vraiment gagner du temps. Au mieux, elles nous occupent les mains, alors le temps passe plus vite. La prochaine fois que vous attendrez en file, posez-vous la question suivante : ces caisses sont-elles plus rapides, ou est-ce plutôt qu'on a fermé presque toutes les autres, laissant une caissière et demie gérer ce qui déborde?

Si les marchands nous refilent l'argent qu'ils économisent sur la main-d'œuvre, je ne l'ai pas remarqué. Ce que j'ai remarqué, cependant, c'est qu'ils me soupçonnent fortement de l'avoir volée, cette livre de steak haché hors de prix. Les commerçants veulent le beurre à 15 dollars, et l'argent du beurre à 15 dollars.

Il y a pourtant un moyen très simple de réduire l'envie de glisser incognito un truc ou deux sous le manteau : l'interaction avec un humain. Quand on réduit le commerce à un échange monétaire sans humanité, il ne faut pas s'étonner que l'envie d'être humain (et donc juste, moral et honnête) commence à disparaître. Évidemment, il fau[Erreur inattendue; veuillez attendre qu'un commis scanne sa carte et entre un code pour pouvoir lire la fin de cette chronique.]