Le progrès (à 23 $/mois)

Mathieu Charlebois | 05 octobre 2022, 10h57

Au palmarès des inventions, je place le siège chauffant bien haut, entre l'Internet et les croustilles aux cornichons à l'aneth.

Le concept est simple : tu t'assois dans l'auto, le siège te réchauffe le muscle grand glutéal (le terme scientifique pour dire « le péteux ») et tu es tellement bien que tu fais deux autres tours du bloc sans raison, parce que tu étais déçu d'être arrivé. Essayer d'améliorer le siège chauffant, c'est comme essayer d'améliorer une recette de Ricardo : tu peux pas. C'est écrit dans le nom : c'est « la meilleure ».

BMW, qui fabrique des voitures haut de gamme avec lesquelles les gens sont pris dans le trafic comme tout le monde, mais avec classe, s'est quand même essayée. Sa trouvaille : transformer les sièges chauffants… en abonnement mensuel!

Suivez bien la manœuvre : les sièges chauffants sont installés dans l'auto par défaut; vous avez donc payé pour. Or, pour pouvoir les utiliser, il faut d'abord accepter de verser 23 $ CA pour l’abonnement mensuel, ou 230 $ CA pour l’abonnement annuel. Autrement, le logiciel qui contrôle la voiture a comme instruction de vous laisser geler de la cuisse. La personne qui a pensé à ça est un véritable Léonard de Vinci du vidage de portefeuille.

Pour l'instant, seuls quelques pays – dont le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande et l'Allemagne – ont droit à ce Netflix du chauffe-popotin. Également offert en abonnement : un système qui active et désactive automatiquement les feux de route (les « hautes ») et le fameux cruise control (ou régulateur de vitesse en bon français) vous empêchant de rouler à 150 km/h sans vous en rendre compte, furieux que vous êtes d'avoir à payer sans fin pour des trucs comme ça.

Pour un versement d'à peine 155 $ CA, ces chanceux d'Anglais peuvent aussi profiter d’IconicSounds Sport, une technologie qui fait jouer le son du moteur dans les haut-parleurs à l'intérieur du véhicule. C'est comme Spotify, mais qui n'aurait qu'une seule chanson: vroum vroum. On n'arrête pas le progrès, dit-on. On devrait parfois essayer, dis-je.

L'annonce de BMW a été accueillie avec une brique et un fanal que le constructeur ne se souvenait pas d'avoir laissés dans le coffre à gants. Reculera-t-il devant la grogne populaire? Peut-il même l'entendre, par-dessus les sons de moteur qui sortent des haut-parleurs?

Je prédis que BMW ne reculera pas. Pas parce que la caméra de recul était offerte en option, mais parce que l'argent est là et, donc, le futur aussi. BMW n'est pas le seul constructeur à vouloir implanter un tel système de microtransactions et d'abonnements. Stellantis, l’entreprise mère de Jeep, Dodge et Chrysler, prévoit ultimement générer près de 23 milliards de dollars américains (30 milliards de dollars canadiens) chaque année de cette façon.

Les meneuses de claque du capitalisme aiment bien clamer que la concurrence et le libre marché sont les clés qui nous ouvrent les portes de l'innovation et du progrès. La vérité, c'est que le seul progrès qui intéresse le libre marché, c'est celui avec lequel il peut nous soutirer de l'argent. Mensuellement, de préférence.

Ne reste qu'à espérer que notre forfait FREINS+ n'expire pas au milieu d'une pente abrupte.