Aller au cinéma?
François Blais | 12 janvier 2022, 14h07
Tous les créateurs souhaitent que leurs œuvres soient reçues dans les meilleures conditions : un souhait un peu chimérique.
Au cours des dernières années, la plupart des grands studios hollywoodiens ont pris l’habitude de diffuser leurs nouveaux films simultanément en salle et sur les plateformes de diffusion en continu. La pandémie a bien sûr accéléré la tendance : il fallait joindre le public là où il était, c’est-à-dire à la maison. De nombreux artisans du milieu ont pris la parole pour décrier cette nouvelle réalité. À l’instar des réalisateurs des années 1920 et 1930 qui prédisaient que les films parlants allaient tuer le cinéma, ces cinéastes modernes n’ont pas de mots assez durs pour nous mettre en garde contre ce fléau qu’est le streaming.
Denis Villeneuve, pour un, affirmait, dans une entrevue accordée au Point, que « le cinéma est un langage qui requiert l’impact du grand écran, le rapport collectif au grand écran. Ce rituel de voir un film ensemble, c’est essentiel dans l’expérience humaine. » Il parlait plus précisément de son dernier film, Dune, qui a selon lui « été tourné, pensé, écrit comme une expérience immersive de grand écran. On part de l’intime pour évoluer vers un opéra […]. C’est une lettre d’amour pour l’expérience du cinéma en salle. »
Comme tous les créateurs, monsieur Villeneuve se fait une idée précise de son spectateur idéal et des conditions dans lesquelles son œuvre devrait être consommée. Je ne suis manifestement pas ce spectateur idéal. Pour commencer, ma vessie ne m’autoriserait jamais à demeurer assis pendant les 2 heures 35 minutes que dure Dune. Pour ce qui est de « l’expérience humaine » et du « rapport collectif au grand écran », je dois avouer qu’il y a deux circonstances dans la vie où je pourrais commettre un meurtre sans éprouver de remords : quand quelqu’un me suit de trop près en voiture et quand je vais voir un film au cinéma.
Christopher Nolan et Quentin Tarantino déplorent également cette migration du public vers les plateformes de diffusion en continu. Pourtant, leurs derniers films respectifs me semblent incompatibles avec un visionnement en salle. Il était une fois à… Hollywood (Once Upon a Time... In Hollywood), le plus récent Tarantino, est rempli de clins d’œil à la culture populaire. Pour en saisir ne serait-ce que la moitié, il faut être très attentif et, surtout, garder le doigt près des boutons « pause » et « reculer de 10 secondes ». Tenet, le dernier Nolan, est également impossible à regarder sans ces fonctions. (Dans ce cas précis, c’est uniquement dans l’espoir d’arriver à comprendre l’intrigue.)
Enfin, je ne veux pas trop railler. Moi-même, en tant que romancier, je me fais une idée des circonstances idéales dans lesquelles il convient que ma lectrice idéale lise mes bouquins. L’esprit vide de toute préoccupation, bien nourrie et bien reposée, son cellulaire éteint, elle se fait couler un bain moussant, ou alors elle s’installe dans son fauteuil préféré, une tasse de thé vert à portée de main, son chat roulé en boule à ses pieds. Elle ouvre son exemplaire fleurant bon la colle et le papier neuf, et elle le lit d’une traite. Bon, je sais bien que ça ne se passe à peu près jamais comme ça et, du moment que j’ai reçu mes 2 $ de redevances sur l’exemplaire vendu, je suis forcé d’admettre que ça n’est pas vraiment de mes affaires.