Question de goût
François Blais | 02 avril 2019, 15h22
Notre chroniqueur réfléchit à la façon dont on perçoit les fumeurs de cannabis par rapport aux amateurs d’alcool.
Siroter son whisky un doigt en l’air, discuter de la robe de son merlot; on aime l’alcool pour sa finesse en bouche, évidemment. Mais peut-on simplement aimer se droguer?
C’est connu: l’alcool est la seule drogue pour laquelle il faut se justifier de ne pas la consommer. Je connais une fille qui ne boit jamais d’alcool et, chaque fois qu’elle se retrouve dans un contexte social avec de nouvelles personnes, on la met en demeure de s’expliquer.
Comme la réponse qu’elle donne généralement – «Je n’aime pas l’alcool» – ne satisfait jamais personne, on tente alors de la faire rentrer dans le rang: «Tu vas quand même trinquer avec nous, hein? Juste une petite goutte, voyons donc, ça te fera pas mourir…»
Moi-même je dois avouer que je ne comprends pas tout à fait ce qu’il faut entendre dans «Je n’aime pas l’alcool». Ici, un tas de questions complémentaires me viennent à l’esprit. Qu’est-ce que tu n’aimes pas de l’alcool, précisément? Le goût? L’effet? La perte de contrôle qu’il peut entraîner? Les conséquences sur ta santé, sur ton salut éternel? Ce «Je n’aime pas l’alcool» nous met instinctivement sur la défensive. Cela éveille notre suspicion et l’on se sent vaguement jugé.
Dans le cas des autres drogues, c’est complètement l’inverse. Il y a une fierté niaise à clamer: «Moi, la drogue, je touche pas à ça!», et l’on a tendance à regarder de haut un type qui parle de sa consommation de cannabis ou de cocaïne.
Fonctions cognitives
Pourtant, ces substances remplissent le même rôle que le whisky ou le vin rouge: elles altèrent nos fonctions cognitives afin de nous faire momentanément oublier l’horreur d’exister. La seule différence étant qu’avec le whisky et le vin, on a le prétexte du goût.
Personne ne fait tournoyer son quart de gramme de coke dans un verre en parlant de robe et de bouquet; et, à ce que je sache, il ne se vend pas de speed vieilli dix-huit ans en baril de chêne.
Le centre commercial où je travaille vient de se doter d’une SAQ. La grande façade vitrée donne sur un boulevard très passant. L’endroit est bien éclairé et convivial. Les gens y entrent sans façon pour faire le plein de vins et de spiritueux.
De l’autre côté du boulevard se trouve une succursale de la SQDC, également toute neuve mais beaucoup moins pimpante. D’aspect austère, elle est invisible depuis la rue et, même si on s’approche, il est impossible de voir ce qui se trame à l’intérieur. Il faut passer un poste de garde et traverser un dédale de paravents pour accéder à la surface de vente. Les gens qui en sortent évitent de croiser le regard de ceux qui entrent.
Léger mouvement de mépris
Une activité aussi bénigne et aussi répandue que la consommation de cannabis demeure quelque chose d’un peu honteux pour le commun des mortels. Admettre que l’on veut se droguer simplement pour se droguer, sans tout le tralala autour des arômes de cassis et de noix grillées, est quelque chose qu’une majorité de personnes est incapable de faire.
Il nous arrive de croiser, dans la file à la caisse de la SAQ, quelque monsieur dans la cinquantaine au nez tuméfié et aux traits bouffis, venu acheter un litre de gin bon marché. On éprouve malgré soi un léger mouvement de mépris à la vue de ce grossier personnage qui se procure de l’alcool dans l’unique but de se saouler et qui ne s’en cache pas.
Au comptoir de la SQDC, nous sommes tous ce monsieur dans la cinquantaine au nez tuméfié et aux traits bouffis.