Se vendre
François Blais | 04 janvier 2019, 13h38
Savoir se vendre, c’est à la mode. Mais combien valez-vous? Et êtes-vous prêt à vous humilier pour le savoir?
À la première page de L’adolescent, Dostoïevski fait dire à son narrateur qu’il faut être trop bassement épris de soi-même pour oser en parler sans honte. Cette phrase me revient en tête chaque fois que l’envie de la ramener à mon propre sujet me prend.
Il existe cependant des circonstances dans la vie où on n’a pas le choix de faire son autopromotion, ne serait-ce que lorsqu’on est en recherche de l’âme sœur ou d’un emploi. Je suis employé d’entretien dans un centre commercial. En gros, je pousse une vadrouille et je change des sacs à poubelles. Il s’agit d’un emploi que n’importe quel imbécile peut occuper. (Si vous ne me croyez pas, je vous présenterai mes collègues.)
Pourtant, lors de l’entrevue d’embauche, il a bien fallu que j’explique à la dame des ressources humaines pourquoi, de toutes les candidatures reçues, la mienne méritait d’être retenue. J’ai parlé de mon esprit d’initiative, de ma capacité à travailler en équipe et de mon cœur à l’ouvrage. J’avais un peu honte de mentir aussi effrontément, mais il faut bien manger.
Le prix de la notoriété
Bref, je veux bien faire mon autopromotion pour des cas de force majeure (recevoir un chèque de paie ou transmettre mon bagage génétique), mais jamais pour des choses aussi frivoles que des «Like», de l’argent ou le respect de mes pairs. J’estime que ceux qui le font sont trop bassement épris d’eux-mêmes.
Mais si j’avais tort? Si le fait de se vendre soi-même s’apparentait plutôt à un exercice d’humilité? Car pour vendre un produit, il faut d’abord en établir la valeur sur le marché. Et établir sa propre valeur n’est pas nécessairement bon pour l’ego.
Cela m’a frappé quand je suis tombé sur le site Cameo.com, sur lequel des personnalités publiques offrent à leurs fans des vidéos personnalisées. Le tarif demandé pour chaque vidéo dépend évidemment de la notoriété de la personnalité. Par exemple, Steven Seagal acceptera de vous souhaiter un bon anniversaire, une bonne retraite, ou ce que vous voulez, à condition que vous déboursiez 250 $.
Brett Favre, quant à lui, demande 500 $ pour 10 secondes de son temps. On ne peut pas le blâmer, puisqu’il se trouve bel et bien des gens prêts à payer cette somme pour que l’ancienne gloire de la NFL les appelle par leur nom et leur marmonne un «God Bless» bien senti.
Un petit coucou
À l’autre bout du spectre, on trouve des «célébrités» comme Rebecca Black, qui a brièvement fait parler d’elle en 2014, après que sa chanson Friday a été consacrée «worst song ever» par divers critiques. Un petit mot de sa part vous coûtera 40 $. C’est peu, mais c’est encore le double de ce que demande Kameron Westcott, vedette de la téléréalité The Real Housewives of Dallas. Cherdleys (qui se définit comme «Instagram Comedian», quoi que cela veuille dire) ne demande pour sa part que 15 $ pour vous faire un petit coucou.
Après avoir épluché le catalogue de Cameo.com, j’ai découvert que la «vedette» la plus abordable était une certaine Caitlin Houlahan, actrice, qui établit la valeur de ses vidéos à 10 $. Supposons que les gens de Cameo prennent un pourcentage de 20 % sur les cachets, il ne reste à Mme Houlahan que 8 $ pour chacune de ses prestations. La question qui me hante est celle-là: s’éviter l’humiliation d’avoir à établir sa valeur marchande ne vaut-il pas davantage que 8 $ ?
En ce qui me concerne, je sais que si je disposais de quelques miettes de notoriété comme Cherdleys ou Caitlin Houlahan, je refuserais de les monnayer. Je suis beaucoup trop bassement épris de moi-même pour oser admettre que je vaux 50 fois moins que Brett Favre.
Photo: Cameo.com