Bien manger: mythes et réalités
Certains chercheurs soutiennent que les gras saturés ne sont pas si mauvais pour le cœur… Surtout si, pour en consommer moins, vous les remplacez par des sucres. Mais qu’en est-il vraiment? Aussi, des études remettent en question les bienfaits des antioxydants pour le cœur, alors que d’autres avancent que réduire la consommation de sodium a peu d’impact sur la mortalité. Comment s’y retrouver?
Submergé par un flot d’informations contradictoires, pris entre les recommandations de Santé Canada, les avis parfois divergents des nutritionnistes et les manchettes de la presse, vous vous sentez perdu et ne savez plus qui croire quand vient le temps de remplir votre assiette d’aliments sains? Pour vous aider à y voir plus clair, Protégez-Vous fait le point sur ce que vous devez connaître au sujet des gras saturés, des oméga-3, du sucre, des édulcorants, des protéines, du sodium et des antioxydants.
Les recommandations présentées dans cet article sont générales. Vos besoins nutritifs peuvent varier selon votre âge, votre niveau d’activité physique ou votre état de santé. Dans le doute, consultez un médecin ou un nutritionniste pour vérifier si des indications personnalisées sont nécessaires.
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Les gras saturés
En mars 2014, le Time Magazine affichait en couverture une noisette de beurre surmontée du titre: «Eat Butter». Cette formulation choc s’appuie sur les résultats d’une méta-analyse (synthèse des résultats de plusieurs études sur un même sujet) publiée dans la revue américaine Annals of Internal Medicine et portant sur 500 000 personnes. Sa conclusion? Les plus grands consommateurs de gras saturés (beurre, viande, huile de coco ou de palme, etc.) n’auraient pas davantage de maladies cardiovasculaires que ceux qui en mangent le moins ou qui ingèrent de grandes quantités de graisses insaturées issues du poisson ou de végétaux, comme l’huile d’olive.
Ces données contredisent le message que martèlent depuis deux décennies toutes les agences de santé publique du monde: remplacez les gras saturés par des gras insaturés. Dans les pages du New York Times, le Pr Walter Willett, sommité mondiale dans le domaine de l’alimentation et chef du département de nutrition à la Harvard School of Public Health, relativise la portée de l’étude et conteste ses conclusions, de concert avec d’autres experts reconnus comme le Dr David L. Katz, directeur du centre de recherche sur la prévention à l’Université Yale, ou la Pre Marion Nestle, titulaire d’une chaire en nutrition à l’Université de New York et auteure de plusieurs livres à succès sur l’alimentation.
Selon le Pr Willett, l’article et son traitement médiatique portent en effet à confusion. «La question centrale est plutôt: qu’est-ce qui remplace les gras saturés dans notre alimentation? écrit-il. Si c’est le sucre, la plus grande source de calories de la diète américaine, le risque de maladies cardiovasculaires reste le même. Par contre, si les gras saturés sont remplacés par des gras mono-insaturés ou polyinsaturés comme l’huile d’olive, il est prouvé que les risques sont réduits.» Malheureusement, la vision du Pr Willett a été peu relayée par les grands médias.
Peu importe ce que disent les récentes études, rien ne prouve que les gras saturés «sont bons pour notre santé», affirme le Dr Martin Juneau, directeur de la prévention à l’Institut de cardiologie de Montréal (ICM). «Les dernières recherches publiées dans Nature Medicine montrent que le microbiote [flore intestinale] des consommateurs de viande rouge favorise l’athérosclérose, précise-t-il. C’est la carnitine, un acide aminé qu’on y trouve en abondance, qui provoque la formation excédentaire du composé responsable de cette maladie inflammatoire, le TMAO, ou oxyde de triméthylamine.»
«Mieux vaut donc réduire notre consommation de viande rouge et de charcuteries et privilégier une diète méditerranéenne avec ses acides gras insaturés [noix, huile d’olive]», résume Élise Latour, nutritionniste au Centre ÉPIC de l’ICM. Quant aux gras trans, présents notamment dans les pâtisseries et les craquelins, il faut les bannir, insiste-t-elle. Santé Canada a fixé la valeur quotidienne combinée à ne pas dépasser pour les gras saturés et trans à environ 20 g pour une ration de référence de 2 000 calories.
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Les oméga-3
Autre question sujette à rebondissements: les oméga-3. Vantée par les fabricants de suppléments, leur supposée action pour prévenir les maladies cardiovasculaires a été mise en doute par une méta-analyse publiée en 2012 dans The Journal of the American Medical Association (JAMA). En effet, celle-ci n’a pas trouvé d’association significative entre la prise de ces acides gras sous forme de suppléments et une réduction de la mortalité en général, et d’origine cardiovasculaire en particulier. Autrement dit, les capsules d’oméga-3 ne permettent pas de remplacer les bienfaits de ces gras contenus dans un plat de poisson gras (saumon, hareng ou maquereau), notamment, car cet aliment contient en plus d’autres éléments cardio-protecteurs, comme des antioxydants, des protéines ou du sélénium.
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Le sucre ajouté
D’après Santé Canada, le sucre ajouté fournissait en moyenne 20 % de notre apport énergétique quotidien en 2004. C’est l’équivalent de 25 cuillerées à thé de sucre par jour! Pourtant, même si de plus en plus d’études montrent des liens significatifs entre cette surconsommation et les maladies cardiovasculaires ou les maladies chroniques (hypertension artérielle, alzheimer, parkinson, sclérose en plaques, cancer, diabète, etc.), «le ministère ne semble pas pressé de changer ses recommandations, fixées trop haut, à 25 %», déplore le Dr Juneau. À l’opposé, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) conseille de ne pas dépasser le seuil de 10 %, tout comme la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC.
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Les édulcorants
«Pour abaisser le niveau de sucre ajouté dans les aliments préparés et se conformer aux nouvelles directives, l’industrie se tourne vers les édulcorants, qui sont reconnus pour entretenir le goût sucré chez les consommateurs», précise Marie-Josée LeBlanc, Ph.D., nutritionniste et coordonnatrice d’Extenso, le centre de référence sur la nutrition de l’Université de Montréal. Selon Simone Lemieux, Ph.D., chercheuse à l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels de l’Université Laval, ceux-ci «ne présentent aucun avantage en matière de santé». Pire, «des études indiquent que le fait d’en prendre envoie un signal de “calories à venir” au cerveau. Celui-ci s’attend en retour à une forme de rassasiement, faute de quoi on mange davantage et on prend du poids». Son verdict: mieux vaut les éviter.
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Les protéines
«La plupart des Canadiens consomment déjà trop de protéines, d’origine animale ou autre. C’est pour cela que Santé Canada n’indique aucune valeur quotidienne à atteindre. Pour calculer nos besoins, on se base souvent sur 0,8 g de protéines/kg/jour, mais dans les faits, nous en consommons environ 1,5 g/kg/jour», explique Marie-Josée LeBlanc.
D’origine végétale ou animale? «Les effets bénéfiques des protéines végétales [légumineuses, graines, noix], base de l’alimentation méditerranéenne, ont été démontrés, notamment dans la vaste étude European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition menée sur plus de 520 000 personnes», souligne la nutritionniste. Malheureusement, poursuit-elle, «bien qu’elles soient intéressantes du point de vue des fibres ou des gras insaturés qu’elles apportent à notre organisme, les légumineuses et les noix ne sont pas encore très populaires en Amérique du Nord».
Nutritionniste à l’ICM, Élise Latour indique que, «sur 14 repas par semaine [midi et soir] avec des protéines issues du groupe des viandes et substituts, il est bon de manger de la viande rouge maigre deux ou trois fois et du poisson gras (maquereau, saumon, sardine ou truite) deux fois sur quatre repas de poisson au total» (les deux autres repas étant réservés à des poissons maigres, tels que morue, dorade, merlan ou sole).
Il y a 27 g de protéines dans chaque portion de 75 g de bœuf. En comparaison, une portion équivalente de poulet en contient 20 g et une portion d’un poisson comme la sole, 18 g. Source : Fichier canadien
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Le sodium
Bien que Santé Canada recommande un apport maximal de 2 300 mg de sodium/jour (l’apport suffisant étant de 1 500 mg/jour, selon le ministère), les Canadiens en consomment en moyenne de 3 000 à 3 500 mg/jour, détaille Marie-Josée LeBlanc. De son côté, l’OMS recommande aux adultes de réduire leur apport en sodium sous la barre des 2 000 mg/jour (soit 5 g de sel/jour) afin de diminuer leur tension artérielle et le risque de maladies cardiovasculaires.
Le problème ne vient pas de la salière, prévient Hélène Baribeau, nutritionniste et auteure du livre Manger mieux pour être au top, puisque 75 % du sodium que nous consommons provient des plats préparés. La solution? «Cuisiner maison avec des produits frais, acheter des conserves à teneur réduite en sodium, diminuer les sorties au restaurant et faire attention au pain [les produits du commerce contiennent de 65 à 600 mg de sodium par tranche]. En effet, un excès de sodium a des impacts sur la masse osseuse, irrite les parois de l’estomac et peut augmenter les risques de cancer de l’appareil digestif supérieur.»
«Des études épidémiologiques montrent clairement que la mortalité augmente en cas de consommation élevée, rappelle le Dr Juneau. En même temps, trois autres études publiées dans The New England Journal of Medicine concluent que trop réduire le sodium dans notre alimentation ne permet pas de sauver tant de vies que cela. Toutefois, comme la consommation moyenne en Amérique du Nord est très élevée, je conseille à mes patients d’en prendre moins.»
Les antioxydants
Les polyphénols sont certainement les plus connus. Contenues entre autres dans les baies rouges, les pommes et les grenades, ces molécules protègent nos cellules des attaques des radicaux libres, impliqués dans le vieillissement, et plusieurs études suggèrent qu’elles préviendraient les maladies cardiovasculaires et certains cancers.
Pourtant, une étude américaine, publiée en 2014 dans JAMA, a ébranlé les certitudes en ce qui concerne le resvératrol, un polyphénol présent dans le vin rouge, les mûres, les cassis ou le chocolat noir, largement publicisé par les fabricants de suppléments pour sa supposée action protectrice. Ses auteurs établissent en effet que l’écart entre l’espérance de vie des petits et des gros consommateurs de resvératrol n’est pas significatif et qu’il est difficile d’affirmer qu’une seule molécule prise isolément dans notre alimentation a des effets sur la santé.
«Plusieurs études démontrent que les antioxydants pris sous forme de suppléments n’ont pas les mêmes impacts sur la santé que les fruits ou les légumes eux-mêmes, confirme Marie-Josée LeBlanc. Pour profiter de leurs effets bénéfiques, il faut consommer l’aliment au complet.» Les dernières recherches ont fait ressortir qu’une petite quantité de radicaux libres était nécessaire pour stimuler nos propres défenses, précise de son côté Hélène Baribeau: «Consommer une trop grande quantité de suppléments d’antioxydants risque de provoquer un effet oxydatif et d’endommager les cellules, soit tout le contraire du but recherché.»
38 g de fibres par jour: recommandation officielle pour les hommes de 19 à 50 ans. Les femmes devraient en consommer 25 g par jour. Pour y arriver, cherchez des aliments riches en fibres: par exemple, une pomme de terre au four, consommée avec sa pelure, en contient en moyenne 3,8 g. Les meilleurs pains tranchés en contiennent de 2 à 4 g par tranche. Source : Valeur nutritive de quelques aliments usuels, Santé Canada (2008); Guide pratique Alimentation: panier d’épicerie, Protégez-Vous (2014); «Pains tranchés: veillez au grain», PV août 2013.
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Ressources utiles
Extenso: Mythes et réalités
Harvard School of Public Health: The Nutrition Source
Institut de cardiologie de Montréal: Les bons et les mauvais gras
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