Pourquoi est-ce si difficile de se loger au Québec?
Moins de nouvelles constructions et de maisons à vendre, rareté et coût élevé des terrains et des matériaux, délais dans l’octroi des permis, spéculation immobilière, syndrome du «pas dans ma cour» pour les constructions en hauteur… Discussion autour d’un besoin fondamental : celui de se loger.
La tension actuelle dans le marché immobilier ne sera pas éternelle et n’est pas sans solutions, ont affirmé des experts à Protégez-Vous. Toutefois, cela prendra du temps, car bien peu de choses peuvent être faites à très court terme pour soulager les locataires qui peinent à se loger et les acheteurs qui cherchent désespérément une maison. Tout cela dans un contexte où les autorités ont récemment sonné la fin de la récréation en annonçant des hausses de taux d’intérêt afin, espèrent-elles, de calmer le jeu.
«L’impact des hausses du taux directeur va surtout se faire sentir durant la deuxième moitié de 2022», estime Hélène Bégin, économiste en chef au Mouvement Desjardins, qui ajoute que cela va aussi refroidir les ardeurs des investisseurs immobiliers.
Tempête parfaite
Il y a un manque criant de logements et de maisons partout au pays. Selon l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), il manquerait près de 100 000 logements (locatifs et propriétés) au Québec pour combler la demande des ménages. C’est la cause principale de l’impasse immobilière qui s’est accentuée ces dernières années avec, en prime, une pénurie de main-d’œuvre quasi généralisée, une pandémie qui s’éternise, des chaînes d’approvisionnement tendues, des matériaux qui coûtent plus cher et une inflation record en 30 ans.
Comme si ce n’était pas assez, la guerre en Ukraine va amener un afflux de réfugiés qu’il faudra loger, et ce, rapidement puisque certains sont déjà arrivés en sol québécois.
Cette conjoncture d’événements a réuni les conditions nécessaires pour une tempête parfaite!
«Plus on en construit, mieux ce sera pour le marché, affirme le responsable des Affaires publiques et porte-parole de l’Association de la construction du Québec (ACQ), Guillaume Houle. On va réduire le coût des logements, car, plus on en construit, plus les prix baissent.»
«Depuis 10 ans, on n’a pas assez construit. Mais qui aurait pu envisager une telle demande pour les unifamiliales il y a 10 ans alors que les copropriétés étaient les préférées?», demande de son côté Francis Cortellino, économiste à la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL).
Ottawa a bien saisi l’urgence de la situation. Dans son budget déposé le 7 avril dernier, le gouvernement vise la construction rapide de 6 000 logements abordables d’un océan à l’autre. Pour ce faire, une somme de 1,5 milliard de dollars est allouée sur deux ans. Le gouvernement a travaillé sur trois fronts: accroître l’offre de logement, faciliter l’accès à la propriété et instaurer des mesures visant à diminuer la surchauffe immobilière.
Malgré ces initiatives, combler l'écart entre l'offre et la demande nécessiterait la construction de 10 000 habitations de plus par année, pendant dix ans, selon l'APCHQ, alors qu'il s'en construit en moyenne 50 000 au Québec. Au cours des dernières années, le secteur locatif a pris le pas sur les copropriétés, rappelle M. Cortellino. En 2021, il s’est construit 35 400 logements locatifs et 8 000 copropriétés au Québec comparativement à 24 400 logements et 8 300 copropriétés en 2019.
À la grandeur du pays, les deux segments de marchés ont crû mais la hausse est plus marquée du côté des logements. En 2021, 78 600 logements locatifs et 75 700 condos sont sortis de terre, contre 68 600 logements et 57 000 copropriétés en 2019. Logiquement s’il s’en construit moins il s’en revendra moins quelques années plus tard.
Hausse des taux d’intérêt aux effets variables
La première hausse des taux d’intérêt a eu pour effet d’ajouter à la frénésie (et au stress) des acheteurs qui veulent signer leur contrat hypothécaire avant les autres hausses attendues. «Déjà qu’il y avait de la surenchère! Depuis la hausse de taux [la première hausse], c’est encore pire», dit Mme Bégin, du Mouvement Desjardins.
La remontée des taux d’intérêt va ralentir le marché, poursuit-elle, en indiquant que cette remontée touchera davantage les premiers acheteurs. Ceux qui ont obtenu une garantie de taux ont un répit de quelques mois. À la condition qu’ils trouvent une résidence, évidemment.
Pour ceux qui sont déjà propriétaires, l’effet de la hausse des taux se fera sentir à retardement, lors du renouvellement de leur hypothèque. À court terme, ils seront les moins touchés, mais, tôt ou tard, cela affectera tout le monde, selon l’économiste.
Effet de rareté
Autre élément qui a contribué à réduire l’offre, les propriétaires âgés qui souhaitaient vendre leur résidence pour aller vers un autre type de logement, comme une résidence pour aînés (RPA), et qui y ont renoncé. Ces propriétaires pourraient se décider à vendre leur propriété lorsque la pandémie achèvera, contribuant à diminuer la pression en augmentant l’offre.
«Et la rareté vient créer la rareté, rappelle d’ailleurs l’économiste à la SCHL, car les gens se demandent s’ils vont trouver une propriété une fois la leur vendue.»
«La revente à court terme de propriétés et les rénovictions sont des comportements spéculatifs qui devraient être découragés par un meilleur encadrement, notamment dans le secteur résidentiel, le logement étant un bien essentiel», résume de son côté Charles Brant, directeur, analyse du marché à l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec (APCIQ).
Ottawa en a d’ailleurs pris note. Dans son dernier budget, la ministre Chrystia Freeland a adopté des mesures visant à calmer les ardeurs des investisseurs et des flippeux immobiliers. Ainsi, il sera interdit aux premiers d’acquérir une résidence au Canada pendant deux ans et de ne pas l’habiter tandis que les gains des deuxièmes seront pleinement imposés si la vente et l’achat d’une résidence se font en moins de 12 mois.
Possible de construire davantage?
Pour espérer sortir de cette spirale immobilière, il n’y a pas 36 solutions: il faut construire davantage.
Pour y arriver, il faut peser nos actions, d’après M. Houle, de l’ACQ, car, en raison de l’action cyclique de l’industrie, si on construit trop, on va se retrouver avec l’effet inverse, ce qui n’est pas souhaitable non plus.
Le marché du logement locatif va rester fort parce qu’il y a un besoin important, selon l’économiste en chef du Mouvement Desjardins. De plus, il est plus facile de rentabiliser [un projet] avec une construction en hauteur. C’est plus payant pour les constructeurs de viser ce segment de marché plutôt que celui des maisons unifamiliales. Mais cela ne se fera pas aisément ni rapidement, car il y a encore «beaucoup d’incertitude en matière de délais et de prix», conclut-il.
Pour ce qui est des mesures qui pourraient soulager le marché, il faut réduire les délais d’octroi de permis, d’après l’Association de la construction du Québec. Il faut aussi modifier le zonage pour la construction et la démolition, notamment pour autoriser la construction en hauteur. Il y a beaucoup de «pas dans ma cour», dit son porte-parole, et les constructeurs font face à des vents contraires venant des municipalités, des arrondissement et des citoyens.
«Accélérer l’approbation des permis à travers le pays est un gros morceau sur lequel il faut travailler», croit aussi M. Cortellino, de la SCHL.
Mais difficile d’aller plus vite quand on roule déjà à plein rendement. Le Québec est sur le point de connaître un sommet avec quelque 200 millions d’heures travaillées par année. En 2021, l’industrie a enregistré 196 millions d’heures travaillées sur de nombreux chantiers, qu’on pense aux écoles, aux Maisons des aînés et aux hôpitaux. Difficile dans ce contexte d’accélérer la construction résidentielle sans tourner les coins ronds.
À lire aussi : Mon petit guide (réaliste) pour l’achat d’une première maison et Carte des constructeurs d'habitations neuves
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