Montréal veut responsabiliser les propriétaires d’appartements locatifs
Le projet de «certification de propriétaire responsable» annoncé par la Ville de Montréal ne réglera pas la crise du logement, estiment plusieurs associations de défense des droits des locataires.
Le projet présenté en début de semaine prévoit que les propriétaires d’immeubles de huit logements et plus seront obligés de détenir cette certification sous peine d’amende. Pour l’obtenir, ils devront, tous les cinq ans, soumettre à la Ville une attestation démontrant le bon état de leurs immeubles ou précisant les mesures prévues pour corriger les problèmes observés.
Cette attestation devra aussi révéler le loyer mensuel perçu pour chacune des unités locatives, indiquer leurs dimensions et préciser si elles sont occupées ou vacantes.
Tous ces renseignements ainsi que le statut de la certification seront affichés sur un site web accessible au grand public.
Amendes
Les propriétaires hors la loi seront passibles d’amendes: de 250 à 625 $ pour une première infraction commise par un propriétaire individuel et de 1 250 à 2 500 $ pour une récidive; de 500 à 1 250 $ pour une première infraction commise par une entreprise et jusqu’à 5 000 $ en cas de récidive.
Ces nouvelles mesures feront l’objet de consultations avant leur entrée en vigueur graduelle: d’abord les immeubles de 100 logements et plus, à compter du 1er juin 2023, puis ceux de taille plus modeste jusqu’aux bâtiments de huit logements, le 1er juin 2027.
Intéressant, mais insuffisant
Pour le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), il s’agit d’un projet «intéressant» parce qu’il permettra de resserrer le contrôle du parc locatif dans tous les arrondissements montréalais, et pas seulement dans la ville-centre.
Il comporte toutefois plusieurs failles, selon Marion Duval, porte-parole du RCLALQ. Elle dénonce notamment les principes de l’autodéclaration et de l’autoresponsabilisation sur lesquels semble reposer ce nouvel édifice réglementaire: «Qui va rédiger les rapports de conformité? Quel propriétaire va admettre qu’un de ses logements est en mauvais état? Et les frais d’inspection serviront-ils à justifier d’autres hausses de loyer?»
Le RCLALQ entend recommander, lors de consultations publiques à venir ce printemps, que la production des rapports de conformité soit confiée à des inspecteurs accrédités.
Un vrai registre, svp!
Par ailleurs, une petite phrase, lue dans le communiqué de presse de la Ville de Montréal, irrite particulièrement Marion Duval: «Cette certification […] comprend notamment un registre de loyers». «Je trouve ça insultant qu’on appelle ça un registre de loyers, dit-elle. Ce n’est qu’une banque de données dans laquelle on trouvera, entre autres choses, une information sur les loyers.»
Le délai de cinq ans entre chaque certification ne freinera pas la flambée du marché locatif, puisque la révision des loyers est une procédure annuelle, croit pour sa part Arnaud Duplessis-Lalonde, organisateur communautaire au Comité logement Rosemont.
Un locataire peut demander une révision de loyer dans les dix jours suivant la signature d’un nouveau bail si la section G du document indique que le loyer versé au cours de l’année précédente était inférieur, ou dans les 60 jours, si la section G ne précise pas le montant de l’ancien loyer.
«Mais si le montant inscrit au registre remonte à quatre ou cinq ans, il n’y a pas moyen de contester ça», soutient M. Duplessis-Lalonde.
En outre, d’après Marion Duval, la Ville de Montréal risque peut-être de perpétuer, malgré elle, la surenchère immobilière. Il y a fort à parier que sa nouvelle banque de données «devienne une mine de renseignements utiles pour les promoteurs en quête de logements à acheter», prédit-elle.
Les gros proprios d’abord
Les associations de défense des droits des locataires déplorent aussi que la Ville de Montréal ne cible que les propriétaires d’immeubles de huit logements et plus, sous prétexte que ce sont les principaux lieux de vie insalubres dans la métropole.
«Le gros du parc locatif, ce sont les petits plex», rappelle Arnaud Duplessis-Lalonde. Les deux tiers des logements échapperont donc à la nouvelle politique.
Marion Duval croit qu’«il aurait fallu inclure aussi les quadruplex» parce que la fièvre spéculative s’est également emparée des petits propriétaires, comme en témoigne une étude dévoilée en mars 2020 par le Comité logement de La Petite-Patrie: entre 2015 et 2019, «55 % des reprises et évictions frauduleuses et malveillantes […] débusquées peuvent être attribuées à de ‘’petits propriétaires’’ qui ne détenaient qu’un seul immeuble».
Et il n’est pas certain que la menace d’amendes salées terrorise les grandes entreprises œuvrant dans l’immobilier locatif. «Les gros proprios sont prêts à dépenser des fortunes pour faire plier les locataires devant les tribunaux», ajoute Mme Duval.
Les règles actuelles prévoient déjà des amendes pour les grandes sociétés délinquantes, mais elles ne sont pas systématiquement imposées. «Est-ce que ce sera le cas pour les amendes prévues par la nouvelle politique?, se demande Arnaud Duplessis-Lalonde. Ça reste à voir.»
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