Ocre ferreuse: Des bactéries mangeuses de fer
Les propriétaires de maisons aux prises avec de l'ocre ferreuse, une substance visqueuse et nauséabonde qui bloque le drainage et cause des infiltrations d'eau, vivent un véritable cauchemar. Que faire pour s'en sortir?
«Notre rêve est devenu un cauchemar.» C’est ainsi que Johanne Larouche et son conjoint Serge Dégarie parlent de leur maison, achetée à l’automne 2004. Aux deux printemps suivants, des infiltrations d’eau ont endommagé leur sous-sol. «La prochaine fois, les assurances ne paieront pas, alors pour l’instant, on préfère ne pas le réaménager», dit Mme Larouche.
Le problème: l’ocre ferreuse, une sorte de boue rougeâtre causée par des bactéries qui se nourrissent de fer et de manganèse. Cette substance bouche peu à peu le drain français situé à la base des fondations. Cela survient souvent quand les fondations baignent dans la nappe phréatique. Le sous-sol devient alors très humide et des infiltrations d’eau peuvent survenir.
Quand ils ont acheté leur maison, construite en 1992 à La Plaine (aujourd’hui Terrebonne), le couple ne se doutait de rien. À l’inspection, tout semblait normal. C’est leur assureur qui a établi le diagnostic. «Il nous a dit que ce n’était pas le premier dégât d’eau à survenir dans cette maison, raconte Mme Larouche. Un faux-plancher recouvrait le sous-sol; on ne pouvait rien voir.» Johanne Larouche et son mari ont donc voulu poursuivre l’ancien propriétaire pour vice caché. Or, ce dernier a fait faillite...
L’une des solutions consiste à installer des cheminées de nettoyage, ce qui permet d’entretenir le drain français à partir de la surface. L’installation de ces tuyaux coûte entre 800 et 2000 $. Ensuite, les plombiers et les compagnies de drainage demandent environ 250 $ pour effectuer un nettoyage avec de l’eau à haute pression, ce qui doit être fait une ou deux fois par année.
Si le drain est complètement obstrué, il faut le changer. C’est souvent le cas lorsqu’il est entouré d’une membrane géotextile, un milieu rêvé pour les bactéries. Il faut alors remplacer le tout par un drain rigide en PVC recouvert de granit concassé. Ce type d’installation coûte entre 75 et 135 $ par pied. Pour une maison de 20 pieds sur 40, l’opération peut coûter entre 9000 et 16 200 $. Plusieurs facteurs peuvent faire grimper la facture, dont l’ampleur de l’aménagement paysager à refaire après l’excavation.
Mais cette solution ne fait pas l’unanimité. «Si la maison baigne dans la nappe phréatique, le problème risque de revenir, même avec les drains rigides et les cheminées de nettoyage. Ça va seulement ralentir la formation d’ocre ferreuse. Par exemple, au lieu de prendre cinq ans à se boucher, ça en prendra peut-être 10», estime Pierre Beaupré, chargé de projet pour une firme d’experts-conseils en bâtiment.
Mains liées
Johanne Larouche et son conjoint ont fait installer des cheminées de nettoyage. Pour l’instant, la méthode fonctionne: l’eau ne s’est pas infiltrée dans leur sous-sol au printemps dernier. Par contre, le couple se sent coincé: qui voudra acheter une maison qui a un problème d’ocre ferreuse et dont il faut entretenir le drain français? «Pour l’instant, on a les mains liées, dit Mme Larouche. On voudrait une solution définitive, sans entretien.»
De telles solutions existent, mais elles sont très coûteuses. On peut par exemple imperméabiliser la fondation ou soulever la maison pour la sortir de la nappe phréatique. Facture: de 40 000 à plus de 100 000 $! Devant l’ampleur du problème et des coûts engendrés, l’Association des consommateurs pour la qualité dans la construction (ACQC) entend faire pression auprès des gouvernements afin qu’ils mettent sur pied un programme d’aide semblable à celui qui est offert pour la pyrite.
Jusqu’ici, l’Association des consommateurs pour la qualité dans la construction (ACQC) a reçu près de 150 témoignages en provenance d’un peu partout au Québec. Les municipalités de Terrebonne, Blainville, Gatineau, Québec, Saint-Charles-Borromée et Saint-Lazare semblent particulièrement touchées. L’ACQC invite les gens qui ont un problème d’ocre ferreuse à remplir un questionnaire, ce qui lui permettra de dresser un meilleur portrait de la situation. Pour le remplir et obtenir la liste complète des villes répertoriées, rendez-vous sur le site Internet de l'Association.
Avec du matériel stérile, un expert-conseil en bâtiment prend des échantillons de l’eau qui arrive dans le bassin de captation (et non de l’eau qui y stagne, ce qui pourrait fausser les résultats). Ces échantillons sont placés dans une glacière avant d’être envoyés dans un laboratoire qui analysera la présence de bactéries, de fer et de manganèse. Le pH de l’eau est aussi mesuré.
En lien direct avec les problèmes d’ocre ferreuse, la proximité de la nappe phréatique peut faire augmenter le niveau d’humidité au sous-sol, créer des moisissures (à gauche) et fissurer la dalle de béton (à droite).
L’ocre ferreuse est une sorte de boue rougeâtre parfois accompagnée d’une odeur de soufre (œufs pourris). Notez qu’une eau rougeâtre peut être simplement due au fer dissous et n’indique pas nécessairement la présence de bactéries ferrugineuses.
Les drains de polyéthylène entourés d’une membrane géotextile se colmatent facilement au contact de l’ocre ferreuse. Pourtant, plusieurs entrepreneurs les utilisent toujours dans des zones à risque.
Les drains rigides en PVC, avec leurs grandes perforations, sont moins propices au colmatage. De plus, des cheminées de nettoyage permettent de les entretenir avec de l’eau à haute pression, au besoin.
Avant d’acheter une maison, jetez un coup d’œil aux fossés et aux ruisseaux environnants. Une boue rougeâtre pourrait indiquer la présence d’ocre ferreuse.
Photos: Réjean Poudrette et APCHQ
Couvert ou pas?
Selon le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol est couverte pour une durée de cinq ans. Cependant, les dommages résultant des sols contaminés sont exclus. C’est là-dessus que se sont appuyés les administrateurs de plans de garantie comme l’Association provinciale des constructeurs d’habitations du Québec (APCHQ) pour refuser d’indemniser les consommateurs.
Malgré cela, certains propriétaires ont contesté la décision en arbitrage, et trois d’entre eux ont gagné leur cause. Dans les trois cas (tous situés à Terrebonne), l’arbitre, Me Marcel Chartier, a interprété le règlement au bénéfice des consommateurs: selon lui, rien ne prouve que l’ocre ferreuse constitue une exclusion de la garantie. Mais le principal argument, c’est que leur maison a été construite dans la nappe phréatique sans que les précautions nécessaires aient été prises, ce qui constitue un vice de construction.
Selon la Régie du bâtiment du Québec (RBQ), les problèmes liés à l’ocre ferreuse sont bel et bien couverts par la garantie. «L’ocre ferreuse étant le résultat d’une réaction chimique ou biologique naturelle dans le sol, elle ne peut être considérée comme un contaminant», affirme la RBQ. Mais l’APCHQ insiste: «Un contaminant, c’est un organisme nuisible, comme c’est écrit dans le dictionnaire», dit Bruno Nantel, directeur général de la Division des garanties de l’APCHQ.
Deux cas qui finissent bien
Sylvie Bujold et son conjoint Michel Gauthier ont gagné leur cause en arbitrage, sans avocat ni témoin expert, en s’appuyant seulement sur des photos et des vidéos. «Les gens peuvent se défendre eux-mêmes, mais je ne le leur conseille pas, à moins d’être extrêmement bien organisés, d’avoir un témoin expert et d’avoir lu les décisions arbitrales, dit Me Jannick Desforges, d’Option consommateurs. Il y a un déséquilibre quand on va en arbitrage contre un entrepreneur. C’est son domaine, il connaît bien ça.» Sans compter que ses moyens financiers sont souvent supérieurs à ceux du consommateur!
Certains propriétaires de maisons choisissent tout de même de payer avocats et experts pour appuyer leur cause. C’est ce qu’ont fait Julie Hubert et Martin Raymond. «On s’est battu pour rejeter la solution des tuyaux rigides et des cheminées de nettoyage, raconte M. Raymond. Quand ta maison est construite dans l’eau, le problème risque de revenir de toute façon.» Leur maison a finalement été soulevée au printemps 2006.
Depuis un an, l’APCHQ fait une tournée provinciale pour sensibiliser les entrepreneurs. Ces derniers peuvent faire des tests par carottage pour mesurer la hauteur de la nappe phréatique et détecter la présence de bactéries ferrugineuses dans le sol avant de construire, pour ensuite adapter les fondations et le système de drainage en conséquence.
Les limites de la prévention
Ces précautions ont cependant leurs limites: «On peut faire des tests à quatre endroits sur un terrain et ne trouver aucun problème, explique Richard Di Muro, directeur général de la garantie Qualité Habitation. Ensuite, on excave, et là on trouve de l’ocre ferreuse. Les bactéries vivent souvent dans des veines d’eau souterraines. Or, quand on fait le carottage, on ne tombe pas nécessairement sur ces veines.»
«De plus en plus, on construit sur des marécages remblayés, explique l’expert-conseil Pierre Beaupré. L’eau de la nappe phréatique qui se drainait dans les marécages n’a alors plus d’endroit où aller, donc son niveau monte. Des maisons qui étaient au départ construites au-dessus de la nappe se retrouvent carrément dedans.»
Malgré les campagnes de prévention, certains entrepreneurs ne prennent pas les précautions nécessaires. «À Saint-Lazare, j’ai trouvé beaucoup d’ocre ferreuse sur un terrain, raconte M. Beaupré. Or, sur celui d’en face, ils sont en train de bâtir avec un drain français entouré de géotextile, ce qui est à proscrire dans ce genre de milieu. Même chose à Blainville, où on construit à la chaîne. Deux entrepreneurs différents construisent à proximité. L’un installe des cheminées de nettoyage et l’autre non. Où est la logique? Et les villes laissent faire ça. Pourtant, on est en 2007, le problème est connu!»
«L’APCHQ conseille de contacter le constructeur en cas de problème, note Charles Tanguay, porte-parole de l’Association des consommateurs pour la qualité dans la construction (ACQC). Or, l’entrepreneur est en conflit d’intérêts: s’il a construit dans l’eau et qu’on constate des problèmes d’ocre ferreuse trois ou quatre ans plus tard, il pourrait chercher à gagner du temps jusqu’à la fin de la garantie en vous proposant des solutions boiteuses. Consultez plutôt un expert indépendant.»
Quelques conseils
• Avant d’acheter un terrain ou une maison, demandez aux voisins et à la municipalité s’il existe des problèmes d’ocre ferreuse ou de nappe phréatique élevée dans le secteur.
• Dans le sous-sol d’une maison, les principaux «symptômes» de l’ocre ferreuse sont la présence de boue rougeâtre dans le bassin de captation ou le clapet antiretour du drain français, une odeur d’œufs pourris, un niveau d’humidité élevé, des moisissures, des fissures et des infiltrations d’eau.
• N’hésitez pas à prendre des photos ou des vidéos: elles pourraient vous être utiles plus tard.
• Une firme d’experts-conseils en bâtiment peut mener différents tests pour détecter la présence de bactéries ferrugineuses, mesurer la hauteur de la nappe phréatique et évaluer le degré de colmatage du drain français à l’aide d’une caméra. Elle peut ensuite vous recommander les mesures à prendre. Une telle expertise coûte généralement entre 400 et 1000 $ selon les tests effectués et l’étendue des conseils prodigués.
• La garantie des maisons neuves couvre les vices de conception, de construction et de réalisation pour une durée de cinq ans. En cas de dommages que vous croyez liés à l’ocre ferreuse, signalez-les rapidement par écrit à l’entrepreneur et à l’administrateur de votre garantie. Ce dernier procédera alors à une inspection, puis il vous fera part de sa décision. S’il refuse de vous dédommager ou si la solution proposée ne vous satisfait pas, vous pouvez faire une demande d’arbitrage. Lisez attentivement votre contrat de garantie pour connaître les procédures à suivre et les délais à respecter.
• Si votre maison n’est plus couverte par la garantie et que vous l’avez achetée d’un précédent propriétaire, vous pourriez intenter des recours judiciaires pour vice caché. Au besoin, consultez un avocat.
• Pour en savoir plus: Association des consommateurs pour la qualité dans la construction 1-877-624-7667 et Régie du bâtiment du Québec 1-800-361-0761.
Photo principale de l'article: sous la belle maison de Louise Arbour (Terrebonne) se cache un problème d'ocre ferreuse. Elle et ses voisins, qui vivent la même situation, songent à poursuivre les constructeurs. Crédit: Réjean Poudrette
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