Dans notre édition de septembre 2017, nous publions un dossier sur le système scolaire québécois et les questionnements auxquels sont confrontés les parents au moment d’inscrire leur ado au secondaire. Pour un magazine de consommation comme Protégez-Vous, aborder un sujet en lien avec l’éducation n’est pas courant. Et peut s’avérer délicat.
Pourquoi ? Parce que l’école n’est pas un bien de consommation. Un grille-pain, un produit financier, un téléphone cellulaire, une voiture en sont. Pas une école. Pour comparer des téléphones cellulaires, il existe des critères tangibles qui peuvent être évalués, notés, classés.
Mais ces façons de faire peuvent-elles s’appliquer aux écoles ? Je ne le crois pas. Dans cet article, nous avons fait le choix d’aborder plusieurs enjeux importants (système scolaire sélectif, coût des études, encadrement des élèves, école à trois vitesses, etc.) mais de palmarès, il n’en a pas été question.
Pourtant, il existe depuis longtemps des classements qui comparent la performance des établissements scolaires. Au Québec, plusieurs médias ont publié ces dernières années ou publient encore des dossiers de ce genre. Ils s’appuient souvent sur les bases de données de firmes comme l’Institut Fraser, un organisme canadien conservateur de recherche en politiques publiques.
Ces classements sont en général établis à partir des résultats aux examens du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. La langue d’enseignement, la sélection à l’entrée, la proportion d’élèves en retard, voire les revenus des parents sont d’autres variables parfois utilisées.
Le grand danger des palmarès
L’Institut Fraser affiche même, pour chaque école, le pourcentage d’élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA). Bien que cette donnée n’est pas prise en compte dans le calcul de la performance académique de chaque établissement, elle saute aux yeux des parents qui utilisent ce type de classements pour s’informer sur les écoles secondaires québécoises.
Et que constatent-ils ? Que les écoles les moins bien classées ont des taux élevés d’élèves en difficulté d’apprentissage. Cette corrélation devient, et c’est là le grand danger de ce type de palmarès, un critère de choix parmi d’autres. Pourtant, la réalité d’un établissement qui compte près de 50 % d'enfants en difficulté d’apprentissage ne peut se résumer à une simple donnée compilée dans un tableau statistique. Il y a de nombreuses raisons qui peuvent expliquer la fragilité de cette école : les coupures budgétaires et les suppressions de postes de psychologues et d’orthopédagogues, la réalité socioéconomique du quartier dans laquelle elle est située, etc.
La réalité du système scolaire dans son ensemble est plus complexe à appréhender qu’une simple colonne de chiffres.
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En 2008 déjà, Marc-André Deniger, professeur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, dénonçait ce genre de palmarès qui « démotivent les professeurs, stigmatisent les élèves et culpabilisent les parents des écoles qui se retrouvent au bas de la liste, où le secteur public est nettement plus représenté [que le secteur privé] ».
Dix ans plus tard, les critiques du système scolaire portent sur le fait que l’école québécoise fonctionne désormais à trois vitesses avec un secteur public régulier en danger, un public à projets particuliers de plus en plus sélectif et un secteur privé protégé. Cette situation, affirment plusieurs experts que j’ai interrogés, accroit les inégalités entre les élèves, renforce la ségrégation sociale et mine la confiance des familles dans le système québécois d’éducation.
Pour contourner le problème, les parents qui en ont les moyens, financiers en particulier, magasinent donc l’école de leur enfant comme ils le feraient pour un ordi portable. Ils comparent, évaluent, classent.
Mais comme me l’expliquait Claude Lessard, ex-président du Conseil supérieur de l’éducation : les parents ne sont pas à blâmer parce qu’ils cherchent la meilleure voie pour leur enfant. S’il y a quelque chose à dénoncer, explique-t-il, c’est la faiblesse de l’action de l’État pour tenter de remettre de l’ordre dans le système éducatif québécois.
Silence radio du ministère
Et c’est effectivement le plus inquiétant, à mes yeux : l’absence de réaction des acteurs publics du système scolaire, Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur et commissions scolaires en tête. Pour les bénéfices de ce dossier, je les ai sollicités à plusieurs reprises et le silence en retour a été assourdissant.
L’un des experts, cité dans mon article, n’est pas surpris de l’absence de réaction des acteurs politiques : en favorisant la reproduction des classes sociales, le système scolaire tel qu’il est leur convient et ne doit pas être remis en cause, affirme-t-il.
Pour les commissions scolaires, la situation est différente mais tout aussi sensible. Je les ai notamment interrogées sur les coûts très élevés de certains projets particuliers (sports-études, arts, etc.), qui créent davantage d’inégalités dans le système scolaire public. Or, 68 commissions scolaires au Québec font actuellement l’objet d’un recours collectif portant sur des frais scolaires abusifs réclamés aux parents. D’où leur silence gêné…