Comme d’autres grands patrons de multinationales, Jeff Bezos tire grassement profit de la pandémie. On a appris cette semaine, dans un rapport publié par l’organisme Oxfam, qu’avec les bénéfices qu’il a réalisés depuis le début de l’année, le patron d’Amazon pourrait «verser une prime de 105 000 dollars aux 876 000 personnes employées par Amazon dans le monde […] tout en restant aussi riche qu’il l’était avant la pandémie de coronavirus».
Je ne suis pas Jeff Bezos et pourtant, à mon petit niveau, je profite de la crise. Depuis le mois d’avril, j’économise 200 $ par mois sur le remboursement hypothécaire de ma maison. À des années-lumière des milliards engrangés par les Microsoft et Amazon de ce monde, mais tout de même.
Ma situation (me) pose question.
Politique monétaire et taux variable…
En devenant propriétaire d’une maison à Montréal il y a deux ans, nous avons obtenu un prêt hypothécaire sur 25 ans, à taux d’intérêt variable. Un bon gros endettement sur un quart de siècle. Ne nous méprenons pas: être en situation de pouvoir emprunter 300 000 $ à une institution financière sans qu’elle ne trouve rien à y redire est un privilège.
L’option du taux variable permettait d’avoir des versements hypothécaires mensuels moins élevés qu’avec un taux fixe et la situation économique d’alors laissait entrevoir une certaine stabilité à même de nous rassurer.
En route donc pour de nombreuses années à rembourser plus d’intérêts à la banque que de capital emprunté.
Mais voilà que, début 2020, le monde est renversé par la COVID-19. À la crise sanitaire se greffe la crise économique qui entraine une baisse progressive du taux directeur de la Banque du Canada, jusqu’à atteindre, fin mars, le seuil plancher de 0,25 %. Cette politique monétaire exceptionnelle vise à soutenir la relance de l’économie, à stimuler la capacité d’investissement des entreprises, à réanimer le pouvoir d’achat des ménages mais également à doper leur capacité d’emprunt.
Parce que nous bénéficions d’un taux variable sur notre prêt hypothécaire, les intérêts à payer au prêteur fondent comme neige au soleil. Chose appréciable, me direz-vous: payer moins d’intérêts à une institution financière, qui n’en a pas rêvé? Bilan des courses: nos remboursements mensuels diminuent de 200 $ environ.
Mais il y a tout de même quelque-chose qui cloche dans ce système qui me permet de «gagner» de l’argent alors que le monde s’enfonce dans la crise. Alors qu’au même moment, à Montréal, la situation se tend considérablement sur le marché de l’immobilier locatif et fragilise de nombreuses familles déjà éprouvées.
L’épargne en hausse?
Par ailleurs, la dégringolade de la consommation a semble-t-il «boosté» l’épargne dans plusieurs pays. En Europe, les Français auraient épargné près de 85 milliards d’euros (132 milliards de dollars canadiens) entre le début du confinement et le mois de juillet!
Au Canada, le taux d’épargne des ménages canadiens a lui aussi explosé de 3,6 % fin 2019 à 28,2 % à la rentrée, selon les derniers chiffres publiés par Statistique Canada.
Si vous faites partie de ces épargnants et souhaitez mettre de l’ordre dans vos finances, lisez les conseils d’Emmanuelle Grill.
Les inégalités se creusent
Autre indicateur surprenant, toujours fourni par Statistique Canada, le revenu disponible des ménages canadiens était en hausse début septembre, signe que le taux d’endettement moyen est un peu moins abyssal qu’il ne l’était avant la crise.
Mais ce que constate Statistique Canada dans le même temps, c’est que les ménages à faible revenu, eux, semblent avoir un ratio d’endettement plus élevé que les autres.
«Il existe des différences considérables entre les situations financières des ménages» et certains «pourraient piger dans leur épargne ou bien s’endetter davantage simplement pour acheter des produits de première nécessité», indiquait pour sa part la Banque du Canada.
«Cette crise, malheureusement, exprime très clairement la violence des inégalités sociales qui traversent nos sociétés, elle renforce encore plus le besoin de réduire les inégalités et de trouver un autre modèle économique, tout simplement», répète l’économiste français Thomas Piketty au fil des entrevues accordées ces derniers mois.
C’est là l’un des enjeux majeurs de cette période inédite: comment éviter que les inégalités ne s’accroissent alors que le modèle économique du «monde d’après» ressemble à s’y méprendre à celui du «monde d’avant»?
Seul et ensemble
Individuellement, il existe des solutions pour contribuer, dans l’urgence du moment, à entretenir le lien social et commencer à imaginer un avenir différent. S’impliquer bénévolement et soutenir financièrement des organismes qui agissent localement auprès des personnes et familles vulnérables, investir dans des projets d’économie sociale, lutter contre les changements climatiques ou encore faire un don de charité.
À une toute autre échelle, celle de Jeff Bezos, mettons, le défi est plus corsé.
Pour «trouver un autre modèle économique», comme le martèle l’économiste français Thomas Piketty, ce ne sont pourtant pas les idées qui manquent: revaloriser des professions essentielles depuis trop longtemps précarisées (les métiers de la santé par exemple) et ainsi améliorer le niveau de vie des travailleuses et des travailleurs; imposer une politique fiscale plus ambitieuse à l’échelle internationale qui mette à contribution les grandes fortunes de ce monde; renforcer la lutte contre l’évasion fiscale; mettre en place un revenu universel; accélérer la lutte contre les dérèglements climatiques, etc.
Bref, bâtir un monde plus juste et plus solidaire.