Les spécialistes du marketing sont, la plupart du temps, des gens brillants et éduqués, se piquant de ne rien laisser au hasard. Ils basent leurs stratégies sur la cueillette et l’analyse des données, des études de marché, des groupes de discussion, etc. Cette belle rigueur les amène parfois à perdre de vue ce fait tout simple, à savoir que le consommateur est une créature romantique, un brin immature et, surtout, réfractaire au changement.
Un exemple célèbre : au cours de la décennie 1980, la bataille pour les parts de marché que se livrent les deux géants du cola, Pepsi et Coca-Cola, est à son apogée. En 1983, Pepsi frappe un grand coup en embauchant la plus grande vedette mondiale, Michael Jackson, pour une spectaculaire campagne publicitaire. Les ventes de Pepsi explosent, tandis que celles de Coca-Cola périclitent. Pour couronner le tout, des tests à l’aveugle commandés par les bonzes de Coca-Cola montrent qu’une majorité de gens préfèrent le goût du Pepsi à celui du Coke.
Ayant analysé froidement la fâcheuse situation dans laquelle leur marque se trouve, les stratèges de Coca-Cola réagissent alors en modifiant leur fameuse recette secrète, de manière à donner un goût plus sucré à leur produit et à le rendre plus semblable à celui du Pepsi. Ainsi naît le New Coke, de triste renommée. Mais enfin, ils auraient dû savoir que le goût n’a rien à voir dans l’affaire. Car, malgré les résultats des tests à l’aveugle favorisant Pepsi, 64 % des gens disent préférer le Coca-Cola. Bref, le monde aime mieux le goût du Pepsi, mais il s’imagine qu’il aime mieux le Coke, et c’est vraiment tout ce qui compte. Il est à noter que les tests à l’aveugle montrent également que rares sont ceux qui peuvent faire la différence entre le Coke, le Pepsi et le RC Cola. Au cours des trois mois que dure la triste expérience du New Coke, des centaines de milliers de consommateurs indignés appelleront au siège social de l’entreprise afin de réclamer l’ancien Coke.
Les exemples de ces funestes tentatives de repositionnement de marque pourraient remplir plusieurs volumes. Et si cela me vient à l’esprit, c’est que j’ai lu récemment une manchette sur l’éternelle question du retour de la Ligue nationale de hockey (LNH) dans la Vielle Capitale. Je me suis alors souvenu qu’à l’époque où je vivais à Québec, les autorités municipales avaient décidé de se débarrasser de ce surnom de « Vieille Capitale » qui, à leurs yeux, avait une connotation vétuste et faisait fuir les touristes jeunes et branchés. L’on avait embauché moult consultants et dépensé un gros paquet d’argent public pour doter Québec d’un nouveau surnom (ou « énoncé de positionnement ») : l’accent d’Amérique. Huit ans plus tard, il semble que cet accent d’Amérique ne soit pas utilisé hors du site web de la Ville. Je mettrais ma main à couper que la phrase « mon époux et moi allons passer le week-end dans l’accent d’Amérique » n’a jamais été proférée.
Il est possible que le vocable soit plus élégant et plus dynamique que celui de « Vieille Capitale », comme il est possible que le New Coke eût goûté meilleur que le Coca-Cola Classique. (Je ne l’ai jamais su : on ne m’autorisait pas à boire de boissons gazeuses à l’époque.) Cependant, il me semble que les spécialistes du marketing qui ont accouché de ces idées ont omis de tenir compte de cette force imparable qu’est l’attachement sentimental des gens pour les choses et les noms qu’ils ont toujours connus. Pour un type dans mon genre, qui achète son vin à la Commission des liqueurs et qui regarde Télé-Métropole, c’est quelque chose qui va de soi.
François Blais est décédé en mai dernier. Nous publions sa dernière chronique à titre posthume. Nous espérons que vous avez autant aimé le lire que nous. Nos sincères condoléances à sa famille et à ses proches. Pour consulter toutes les autres chroniques écrites par François, cliquez ici.
─ La rédaction de Protégez-Vous