Si j’avais à établir un palmarès des sujets qui m’intéressent le moins en ce bas monde, la lutte pour la deuxième position se jouerait entre la course automobile et la haute couture. La première position? Facile : la finance. Il suffit que j’entende des mots comme « épargne », « REER » et « taux d’intérêt » pour que mon esprit se mette à vagabonder. Ce qui est fâcheux là-dedans, c’est que, s’il est possible de vivre sa vie sans jamais entendre parler de Ferrari ou de Coco Chanel, le sujet des finances personnelles est malheureusement inéluctable.
Un comptable bien connu ne cesse de seriner sur toutes les tribunes que n’importe qui disposant de deux sous de jugeote devrait avoir atteint l’autonomie financière à 45 ans. D’autres parlent plutôt de la retraite à 40, voire à 30 ans. Pour quelqu’un comme moi qui vogue doucement vers la cinquantaine et qui mène une lutte de tous les instants contre sa marge de crédit, il est évidemment trop tard. Surtout que, pour atteindre cette fameuse autonomie financière dans la quarantaine, il fallait commencer à planifier dès le début de la vingtaine. (À ma décharge, je précise que j’ai commencé à penser à la retraite dès la fin du secondaire. J’ai simplement négligé l’aspect financier de la chose.)
Ce n’est pas si difficile que ça : il suffit de travailler très fort et d’être extrêmement radin pendant une petite dizaine d’années, 20 au maximum. Bon, quand j’écris qu’il faut être « extrêmement radin », je force un peu le trait. Il convient plutôt de renoncer à certaines dépenses superflues; par exemple les voyages et les cafés à emporter. En effet, à force de lire des articles sur la liberté à 40 ans, l’on découvre rapidement que le café à emporter est l’ennemi numéro un d’une bonne santé financière. De la même manière que les Américains calculent toutes les superficies en terrains de football (« Central Park fait 3,41 kilomètres carrés, ce qui représente grosso modo 840 terrains de football »), les apôtres de la retraite prématurée calculent toutes les dépenses en cafés : « Vous devriez mettre chaque mois environ 120 $ dans le compte épargne-études de votre enfant; c’est l’équivalent d’un grand café par jour. »
Ainsi, après une ou deux décennies passées à travailler 70 heures par semaine et à vous tenir loin du Starbucks (autre conseil essentiel pour quiconque aspire à commencer à vivre à 45 ans : évitez dans la mesure du possible de mourir jeune), vous devriez normalement avoir amassé un capital, que vous investirez à la bourse ou dans l’immobilier. À partir de là, votre capital travaille pour vous, et vous pouvez enfin commencer à faire ce que vous aimez vraiment. Vous pouvez même boire du café, mais il se peut que toutes ces années à pratiquer la radinerie en virtuose vous aient fait passer le goût du café en particulier, et des bonnes choses en général. Enfin, l’essentiel est que vous n’avez plus à aller travailler et que vous pouvez passer vos journées en pyjama à suivre le cours du NASDAQ ou à écouter les doléances de vos locataires.
Non, vraiment, ce n’est pas très difficile. C’en est à se demander pourquoi il y a encore des pauvres. La seule hypothèse plausible est qu’ils le font exprès.