En 2008, un certain Armin Heinrich lançait une application baptisée I Am Rich. Mise en vente sur la boutique virtuelle d’Apple au prix de 999,99 $ (le maximum permis), elle ne servait absolument à rien. Enfin, elle servait à prouver que vous étiez prêt à flamber mille dollars pour quelque chose qui ne sert à rien, et donc que vous n’en étiez pas à mille dollars près. Les ventes allaient bon train, mais malheureusement, monsieur Heinrich n’a pas réussi à s’enrichir lui-même grâce à son application, puisque Apple a décidé de la retirer du site au bout de 24 heures, sans doute parce qu’il était peu éthique de vendre à fort prix quelque chose qui ne sert à rien.
Toutefois, il me semble que les bonzes d’Apple auraient dû savoir que, pour un riche, jeter son argent par les fenêtres sert avant tout à asseoir son statut social. Par exemple, un type comme Leonardo DiCaprio porte des t-shirts Gucci à 900 $ pièce qui, vus de loin, ressemblent beaucoup à ceux de marque George que j’achète à 10 $ au Walmart. Quand tu as vu un t-shirt noir 100 % coton, tu les as tous vus. J’admets que le sien est sans doute de meilleure qualité, mais pas au point de justifier la différence de prix. Leo est au courant de ça, mais il s’en balance : ce n’est pas un simple t-shirt qu’il s’est procuré, il a plutôt acheté la certitude de ne pas porter la même chose qu’un plouc dans mon genre.
Jennifer Aniston fait de la pub pour Aveeno. Son contrat l’oblige à faire croire qu’elle utilise les produits Aveeno dans la vie de tous les jours, mais quelque chose me dit que, dans le secret de sa salle de bain, elle s’enduit plutôt de crème antiâge Chanel Sublimage à 235 $ l’once, ou encore de Chantecaille Nano Gold. Jennifer doit bien savoir que les crèmes antiâge ne fonctionnent pas, que toute cette industrie est une vaste arnaque. Cela dit, elle considérerait sans doute comme une grande déchéance le fait de se crémer le visage avec le même produit que sa femme de ménage.
Le sultan de Brunei, dont la fortune personnelle est estimée à plus de 20 milliards de dollars, a un jour payé 24 000 $ pour une coupe de cheveux. (Ce montant inclut le transport en jet privé depuis Londres du réputé coiffeur Ken Modestou.) Une recherche du sultan du Brunei dans Google Images permet de conclure que sa coupe de cheveux aurait facilement pu être exécutée par Chantal, du salon de coiffure Chantalou, pour à peu près 20 $.
Dans ces circonstances, j’estime que les gens d’Apple auraient bien pu laisser monsieur Heinrich vendre son application inutile. D’autant plus qu’ils ne sont tellement pas placés pour parler. Au moment où j’écris ces lignes, l'Apple Pro Stand, un support à moniteur qui doit coûter quelques dizaines de dollars à produire, est offert pour la somme de 1 299 $ sur Apple.com. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, mais, d’une manière générale, ceux qui achètent des produits Apple ont un peu la même mentalité (faute d’avoir les mêmes moyens) que Leonardo DiCaprio et que le sultan du Brunei : ils savent que regarder des vidéos de chats sur un Asus VivoBook à 800 $ revient un peu au même que de les regarder sur un MacBook à 2 000 $, mais ils sont prêts à payer plus cher pour avoir l’illusion de se distinguer du plouc moyen.