Une de mes stratégies préférées pour éviter de faire ce que j’ai à faire quand je me retrouve devant mon ordinateur (travailler sur mon prochain roman, répondre à un courriel urgent, etc.) consiste à me perdre dans le monumental catalogue virtuel de Wish.com.
Fondée par un ancien cadre de Google du nom de Piotr Szulczewski – qui, aux dernières nouvelles, revendique le titre de plus jeune milliardaire canadien –, Wish est une manière de marché aux puces virtuel. Et comme c’est le cas dans tout bon marché aux puces qui se respecte, la grande majorité des articles en vente ne répondent à aucun besoin réel, tout en repoussant souvent les frontières du mauvais goût. Par exemple, pour une poignée de dollars, il est possible de se procurer les articles suivants : un costume de Godzilla pour chats ; un jeu de caleçons et de chaussettes arborant le logo de Chef Boyardee ; une brosse à toilette imitant l’aspect du dictateur de la Corée du Nord ; une tranche de pain géante en peluche ; un jeu de six minicasques de moto pour perruches ; un rideau de douche qui représente l’acteur Nicolas Cage faisant un high five à un chimpanzé (pour quelques dollars de plus, l’on peut ajouter la descente de bain et la housse de toilette, et ainsi avoir une salle de bain complète sous le thème de Nicolas Cage) ; un étui de cellulaire à l’effigie de Saddam Hussein ; un faux nez en caoutchouc pour péter des faux boutons (vendu avec un tube de matière grasse pour remplir les cavités à nouveau quand tous les boutons sont pétés) ; etc. Enfin, je pourrais continuer la liste pendant des jours puisque le catalogue compte plus de 300 millions d’articles, tous plus hideux et inutiles les uns que les autres. Mes préférés sont ceux dont il est impossible de deviner l’usage même en lisant la description. Il existe d’ailleurs de nombreuses pages sur Facebook où les membres demandent l’aide de la communauté pour deviner à quoi peut bien servir tel gadget (la bonne réponse est souvent : butt plug).
Il m’arrive parfois, en naviguant dans cet océan infini de cossins bon marché, de me demander : « Mais qui peut bien acheter ces choses ? » La réponse à cette question est facile : tout le monde. Il suffit de taper « Wish statistics and facts » dans Google pour apprendre que Wish, dont la valeur est estimée à près de
9 milliards de dollars, compte 500 millions d’usagers, dont 90 millions de fidèles (c’est-à-dire ceux qui achètent sur une base mensuelle). Cela veut dire que 1 personne sur 15 dans le monde s’est un jour laissée tenter par l’une ou l’autre des 300 millions de babioles offertes par les marchands inscrits sur Wish.
(Car l’entreprise ne vend rien ; elle n’est qu’une intermédiaire entre acheteurs et vendeurs, ce qui lui permet de s’en laver les mains si les écouteurs à 2 $ que vous avez commandés ne fonctionnent pas, ou qu’ils ne vous sont simplement pas livrés.) Ce demi-milliard d’usagers est encore plus impressionnant quand on sait que plus de la moitié de la population mondiale n’a pas accès à Internet et n’a pas vraiment les moyens de se procurer un rideau de douche humoristique.
Tiens, cela me fait penser qu’après avoir passé des heures à étudier toutes les statistiques mises de l’avant par Wish, je ne suis pas arrivé à connaître le salaire horaire de la fillette qui passe 14 heures par jour à fabriquer des housses de toilette à l’effigie de Nick Cage dans un quelconque faubourg industriel de Guangzhou. Je suppose que c’est un simple oubli de la part de l’entreprise.