J’ai acheté une maison en Gaspésie en octobre 2020, en pleine crise du logement. Un coup de chance pas possible, le genre d’histoire où on doit être au bon endroit au bon moment, avant même que l’affiche «À vendre» ne soit plantée. À 25 ans, avec mon conjoint, j’ai dû prendre l’une des plus grosses décisions de ma vie en même pas une fin de semaine. Sinon, la maison nous échappait.
J’ai donc étudié plus intensément que pour n’importe quel examen final (si vous êtes un de mes anciens profs, ceci est un mensonge et vous pouvez ignorer cette phrase), pour savoir quoi faire, quoi signer, qui contacter.
Je veux partager mes astuces, mais je sais bien que mon expérience n’est pas universelle (et que tout le monde ne trouve pas charmant d’avoir des vaches comme voisines et un Dixie Lee à cinq minutes en voiture). J’ai donc échangé avec quatre autres presque trentenaires qui ont eux aussi acheté une maison récemment. J’ai aussi consulté des experts. Surenchères, recherche intensive, sacrifices, paperasse : chers futurs propriétaires, je pense qu’on a réussi à vous concocter un portrait réaliste de ce qui vous attend.
Une semaine avant d’enfin signer une promesse d’achat, Catherine Jetté, 29 ans, était prête à abandonner ses recherches. Le temps, disons, que le marché immobilier se calme les nerfs. C’est que, quelques jours plus tôt, son conjoint et elle étaient tombés sur la perle rare. Une maison-coup-de-foudre qui les a poussés à revoir leur budget et à offrir 100 000 $ de plus que le prix annoncé, mais qui s’est finalement envolée à près de 200 000 $ de plus que demandé.
«Cent mille dollars, et on n’était même pas proches de la tête du peloton. Ça nous a complètement découragés», a soupiré Catherine Jetté au téléphone. Son conjoint et elle ont finalement mis la main sur une maison à Saint-Bruno, pas trop loin de la maison qui leur a échappé, dans laquelle ils déménageront en mars 2022.
Perdre une maison en surenchère: une situation qui hante tous les aspirants acheteurs. Selon l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec, en 2021, plus de la moitié des ventes se sont conclues en surenchère.
La maison de vos rêves ne sera probablement pas près d’une sortie de métro
Comme on n’héritera pas de la fortune de Jeff Bezos dans les prochaines années, peut-on se permettre de rêver à l’achat d’une maison avant l’âge de 30 ans?
«C’est possible, mais, avec le marché actuel où l’offre est beaucoup moins élevée que la demande, il va falloir s’adapter, me répond Angela Iermieri, planificatrice financière chez Desjardins. Il faudra peut-être aller s’installer un peu plus loin que souhaité, opter pour un condo plutôt qu’une maison, revoir son budget ou accepter de faire des rénovations.»
La perle rare ne se situera donc probablement pas à Montréal. Ni à Laval. Et la crise du logement ne frappe pas que les grandes villes du Québec. Par exemple, en octobre 2020, le taux d’inoccupation à Percé, en Gaspésie, était de… 0 %.
Guillaume Jacques et Charlie Boisvert, un couple de la Rive-Nord qui approche la trentaine, gardent un mauvais souvenir de leur recherche. Au téléphone, Guillaume m’a raconté un souvenir particulièrement amer: se faire mettre dehors après une visite chronométrée de 15 minutes. «On s’est sentis comme des numéros tout le long de ce processus-là», a-t-il précisé.
D’ailleurs, eux aussi ont vu la maison de leurs rêves partir pour plus de 100 000 $ que le prix affiché. Un évènement qui aura eu l’effet d’une douche froide.
«On a compris qu’on ne pourrait jamais se permettre une maison comme on voulait sans surenchérir. On s’est donc tourné vers les nouveaux développements et il a fallu s’éloigner de Laval, dit Guillaume. Et même là… La demande était tellement grande pour les constructions neuves que les développeurs ne nous rappelaient même pas.»
Le couple se considère chanceux d’avoir trouvé, à Mirabel, un jumelé à son goût dans un nouveau développement qui sera prêt en août. Au final, ils auront mis près de deux ans à trouver une maison.
Être à son affaire
Catherine Raymond-Poirier, 29 ans, a acheté son premier condo cette année. En un mois, elle a mis la main sur un petit logement situé dans le Village, à Montréal. Et si elle ne regrette pas son move, la jeune ingénieure m’a confié qu’elle aurait aimé être plus outillée. «J’aurais préféré qu’on m’explique bien les termes et les conditions d’un achat», a-t-elle admis.
Puisqu’on n’a pas appris à gérer une hypothèque à l’école, la planificatrice financière Angela Iermieri m’a fait un petit cours 101 de l’achat d’une maison. Voici les six étapes à suivre.
1. Faire son budget
Avant de commencer à magasiner, il faut faire son budget à court et à long terme, m’a-t-elle expliqué. Il faut notamment prendre en compte une future augmentation des taux d’intérêt (en ce moment, ils sont très, très bas et ils remonteront probablement dans les prochains mois) et ce qui pourrait arriver si notre source principale de revenus était coupée. N’oubliez pas, si vous faites votre budget sur une base mensuelle, d’y inclure les dépenses annuelles.
2. Prévoir sa mise de fonds
La mise de fonds, communément appelée cashdown, c’est le montant qu’on verse à l’achat d’une maison et qui se situe généralement entre 5 et 20 % du prix total. Si on verse moins de 20 %, il faudra assurer son prêt hypothécaire et payer une prime.
«Il faut établir d’où vient notre mise de fonds. Est-ce qu’elle provient de mes épargnes? D’un don? De mes REER, de mon CELI? Est-ce que je peux bénéficier des incitatifs gouvernementaux?», ajoute la conseillère chez Desjardins.
Pour ceux qui ont des REER, le Régime d’accession à la propriété (RAP) peut être intéressant; c’est d’ailleurs l’option qu’ont choisie Catherine Jetté et son conjoint. «Le RAP permet à une personne de retirer temporairement jusqu’à 35 000 $ de son REER sans payer d’impôt. Vous devrez toutefois remettre dans votre REER les sommes retirées», explique Julien Michaud, analyste en éducation financière pour l’Autorité des marchés financiers (AMF).
3. Prévoir les frais de démarrage
Votre conseiller financier exigera une preuve que vous êtes capable de payer des frais de démarrage correspondant à 1,5 % du coût de la propriété. «Mais on suggère toutefois de prévoir 3 %», dit Angela Iermieri.
Il faut donc être en mesure de payer les frais d’inspection, les frais d’évaluation (si nécessaire), un certificat de localisation (au besoin), les frais de notaire, les droits de mutation (qu’on appelle très sympathiquement la taxe de bienvenue), les frais de déménagement, d’ameublement et d’entretien, ainsi que l’assurance habitation.
4. Évaluer sa capacité financière
«Il faut savoir combien on peut se permettre de payer et s’assurer qu’au maximum 32 % du revenu brut du ménage soit dédié à l’habitation, avise Angela Iermieri. C’est ce qui va déterminer combien vous pouvez emprunter.»
Sans oublier, bien sûr, de penser aux imprévus.
C’est à cette étape qu’on magasine l’hypothèque. On peut le faire soi-même en contactant, par exemple, plusieurs banques et prêteurs, ou faire affaire avec un courtier hypothécaire, qui peut choisir pour nous le meilleur prêt disponible. «Demandez-lui avec combien de prêteurs il fait affaire et s’il compte vous présenter différentes options auprès de plusieurs institutions financières», conseille Julien Michaud. L’AMF recommande aussi de demander au courtier qui le paie. «Généralement, c’est l’institution financière prêteuse qui le rémunère. Parfois, vous devez le payer vous-même», peut-on lire sur le site.
Puisque les ventes de maison se déroulent très rapidement – cinq jours entre le début des visites et le dépôt des offres –, il est recommandé d’obtenir une préautorisation hypothécaire avant de commencer à faire des visites. Question, comme dit Catherine Jetté, de «pouvoir peser sur la gâchette dès qu’on a un coup de foudre».
N’oubliez pas qu’emprunter n’est pas gratuit: il vous faudra payer un taux d’intérêt au prêteur. La plupart du temps, les acheteurs optent pour un taux fixe, soit un taux gelé pendant une certaine période (d’habitude, c’est 5 ans), ce qui vous évitera des augmentations imprévues.
Votre budget déterminera aussi la période d’amortissement du prêt hypothécaire, soit le temps qu’il vous faudra pour rembourser le prêteur. En général, les gens optent pour 25 ans.
Un conseiller financier aura normalement les calculateurs nécessaires pour vous aider à déterminer tous ces chiffres rapidement.
5. Magasiner
C’est le temps de visiter, d’éplucher les annonces et de demander à être placé sur les listes d’envoi des courtiers immobiliers, qui ont accès à certains affichages avant le grand public.
Catherine Jetté, qui lors de notre entrevue venait tout juste d’apprendre que sa dernière offre d’achat avait été acceptée, a deux conseils pour ceux qui se lancent: tenir compte de la surenchère pour déterminer son prix d’achat maximal d’une propriété et se faire aider par un courtier immobilier.
6. Faire une offre d’achat conditionnelle à l’inspection
Proposez un prix et, de grâce, conseillent les experts, insistez pour que votre offre soit conditionnelle à une inspection préachat satisfaisante (à inscrire noir sur blanc dans l’offre). Mais attention: préparez-vous à ce qu’on vous mette de la pression, à cette étape du processus, pour effectuer la transaction le plus rapidement possible. De nombreux vendeurs, sachant que les intéressés ne manquent pas et que vous voulez vraiment acheter, vous disent que l’inspection n’est pas nécessaire ou vendent sans garantie légale, soit sans protection contre les vices cachés.
«Il faut vraiment faire attention. Je sais qu’on veut l’avoir [notre maison de rêve], mais c’est là que ça peut poser problème», explique Angela Iermieri.
J’ai d’ailleurs acheté ma maison sans garantie légale (l’ancien propriétaire étant décédé, il devient, disons, plus compliqué de se retourner contre lui en cas de vice caché) et je ne regrette pas mon achat… la plupart du temps. Est-ce que je rédige ce texte les deux pieds tout juste secs après avoir épongé un dégât d’eau causé, selon mon plombier, par une tuyauterie «cheap comme la mort»? Oui. Et est-ce que, chaque fois que le vent souffle un peu trop fort, je croise les doigts pour que mon toit, à changer pour hier, tienne le coup, même si on m’a fortement suggéré qu’il avait récemment été rénové? Aussi. Mais je connaissais les risques avant de signer. Et ça me permet de m’exercer à être zen.
Pour éviter ce genre de situation, demandez les factures des travaux importants, qui devraient d’ailleurs être indiqués dans la déclaration du vendeur.
7. Faire inspecter
Vous n’avez pas croulé sous la pression de l’acheteur et avez réussi à vous acheter un peu de temps pour faire inspecter la maison? Bravo! Mais d’abord, sachez que le métier d’inspecteur n’est pour l’instant pas réglementé au Québec. J’ai demandé à Joseph Flaubert Duclair, président du Réseau d’inspecteurs en bâtiments certifiés, de partager avec moi ses astuces pour trouver quelqu’un de fiable.
«Premièrement, il faut éviter d’engager un inspecteur recommandé par le vendeur, puisqu’il est en apparence de conflit d'intérêts. On fait aussi attention au bouche à oreille: vos proches n’ont pas nécessairement les capacités d’évaluer ses compétences!», conseille-t-il.
M. Flaubert Duclair recommande aussi de demander quelques soumissions en ligne auprès de regroupements (comme le sien) et de comparer les prix et les services inclus. De mon côté, puisque je vis en région éloignée et que les inspecteurs ne courent pas les rues, c’est la banque qui m’a donné une liste de personnes fiables à contacter.
Et le plus crucial: «Avant d’embaucher un inspecteur, demandez-lui de vous remettre une preuve qu’il détient une assurance contre les fautes, erreurs et omissions. Exigez aussi qu’on vous envoie une copie des normes et pratiques [qui l’encadrent] et assurez-vous que vous aurez un rapport écrit après l’inspection. On peut normalement vous remettre un exemplaire», ajoute-t-il.
Attendez-vous à payer, pour une maison unifamiliale à un étage, de 500 à 750 $, ce qui inclut la visite et le rapport détaillé (et confidentiel) qu’on vous remettra après la visite. Vous devrez accompagner l’inspecteur lors de sa visite «pour lui poser toutes vos questions et en apprendre plus sur la propriété», conseille M. Flaubert Duclair. Et rappelez-vous: un inspecteur n’ouvre pas les murs.
8. Passer chez le notaire
Au Québec, les transactions immobilières doivent se conclure chez le notaire, qui s’assure du bon déroulement de la transaction et qui vous remet les clés de votre nouveau château. C’est généralement à vous, l’acheteur, d’assumer les frais et de le choisir. De mon côté, j’ai choisi de continuer avec la notaire du vendeur. Pour Guillaume et Charlie, le notaire leur était imposé par l’entrepreneur qui a construit le développement qu’ils habiteront, mais on leur a remboursé les frais.
Le notaire procède donc à l’examen des titres, question de s’assurer que le vendeur a bel et bien le droit de vous céder sa propriété et que personne d’autre ne doit consentir à la vente. Le vendeur devra lui fournir ces documents et payer pour leur production, s’ils ne sont pas à jour: un certificat de localisation, les relevés de taxes municipales et scolaires, les actes de vente des anciens propriétaires et les déclarations de copropriété (si vous achetez un condo).
Vous devrez lui remettre une copie de l’offre d’achat et de la déclaration du vendeur ainsi que l’acte de garantie hypothécaire. Le notaire examinera ces documents, puis, s’il n’y a pas d’irrégularités, préparera l’acte de vente.
En passant, un notaire, ça coûte vraiment cher, surtout si vous êtes en région éloignée. Je suis sortie de nos rencontres avec 2 000 $ de moins dans mes poches, alors que DuProprio écrit sur son site internet qu’il faut s’attendre à payer environ 1 000 $. Au moins, on m’a donné un porte-clés... J’imagine que ça compense, à quelque part.
Oui. C’est rushant. Et stressant. Mais ce portrait est réaliste. La bonne nouvelle, c’est que vous pouvez être accompagné par des professionnels pour toutes les étapes de ce processus. N’hésitez pas à faire appel à un planificateur ou une planificatrice financière, à des courtiers (immobilier, hypothécaire, assurance) et à leur demander de l’aide.
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