Je lis, ces jours-ci, beaucoup de livres sur le basketball. Notamment le classique The Breaks of the Game, qui raconte la tumultueuse saison 1979-1980 des Trail Blazers de Portland, un prétexte pour mettre le basketball dans un contexte social et parler des tensions raciales aux États-Unis. Puis The Jordan Rules, un compte rendu de la saison 1992 des Bulls de Chicago, dans lequel l’auteur soulève cette question : les Bulls ont-ils gagné le championnat grâce à la personnalité hyper compétitive et tyrannique de Michael Jordan, ou malgré cela? Je suis présentement dans Operation Yao Ming, qui raconte les efforts des autorités chinoises dans les années 1970 pour créer des superathlètes en « encourageant » des personnes sélectionnées d’après leurs caractéristiques physiques à se marier et à se reproduire.
Où je veux en venir en parlant de ma nouvelle obsession? Au fait que je n’aurais pas pu entretenir cette lubie pour les ouvrages sur le basketball avant de posséder une liseuse. Les livres que je viens de mentionner datent tous de plusieurs années et ne sont plus offerts en librairie. Et comme le basket n’est pas très populaire en France, ils n’ont pas été traduits en français et ne se retrouvent donc pas dans les bibliothèques publiques. J’aurais bien sûr pu les commander en ligne. Un exemplaire relié de The Jordan Rules m’aurait coûté 21,79$ et aurait mis environ une semaine à se rendre chez moi. C’est tolérable, d’accord, mais mon exemplaire numérique m’a coûté 9,99$ et le téléchargement a duré deux secondes. De plus, j’avais le loisir de lire les 25 premières pages gratuitement, alors si le style de l’auteur m’avait indisposé, j’aurais été libre d’abandonner l’ouvrage sans qu’il m’en coûte un sou. Si le sens d’un mot en anglais m’échappe, je n’ai qu’à poser le doigt dessus pour obtenir sa définition dans le New Oxford Dictionary et dans Wikipédia. Je peux ajuster le degré de luminosité et la taille du texte, surligner des passages, faire des recherches par mot-clé, activer ou désactiver les marqueurs de progression, etc.
Bref, la liseuse est au bon vieux codex ce que le codex est aux rouleaux de papyrus. Normalement, plus personne ne devrait lire des bouquins en papier, hormis ces romantiques se plaisant à pontifier sur les plaisirs sensuels que procurent l’odeur et la texture d’un livre neuf. Ou alors ces pédants qui aiment faire étalage de leurs lectures, montrer leur bibliothèque et laisser traîner leur exemplaire de Phénoménologie de l'esprit sur la table du salon. Mais bon, ils ne peuvent pas être si nombreux que ça, hein?
Eh bien, il semble que oui. Une simple recherche sur Google nous apprend que la liseuse est en déclin partout dans le monde, et que les ventes de livres électroniques représentent moins d’un dixième des ventes totales de livres. Ces chiffres sont encore moins reluisants au Québec, du moins si je me fie au rapport de redevances de mon dernier titre : sur 2 609 unités vendues, seulement 37 l’ont été en format numérique. D’ailleurs, certains éditeurs d’ici ne se donnent même pas la peine d’offrir leurs titres en version numérique.
Est-ce à dire que les pédants et les romantiques de ce monde vont réussir à enrayer la révolution numérique? Je ne crois pas. Après tout, les liseuses existent depuis moins de 20 ans. Quand on sait que le codex a mis plus de cinq siècles à s’imposer face au rouleau de papyrus, on devrait attendre un peu avant d’annoncer la mort de la liseuse.
François Blais est l’auteur d’une dizaine de romans, dont La classe de madame Valérie, Sam et ses plus récents: Un livre sur Mélanie Cabay et Les rivières suivi de Les montagnes: deux histoires de fantômes. Il est aussi l'auteur de quelques livres pour les enfants (Le livre où la poule meurt à la fin et 752 lapins). Il habite à Charette, en Mauricie.