L'achat local, c’est quoi au juste?
Distance qui vous sépare d’un produit, origine d’une entreprise, emplacement de son siège social… Pour des raisons environnementales ou pour encourager l’économie d’ici, vous souhaitez privilégier les produits locaux, canadiens ou québécois, plutôt que chinois ou américains. Mais acheter local, ça veut dire quoi, au juste?
À l’église Saint-Denis, à Montréal, l’achat local est une religion. Chaque année, depuis 2015, le marché Puces POP s’invite dans le sous-sol de ce lieu saint. Les consommateurs s’y déplacent par centaines pour venir à la rencontre d’artisans d’ici. «Ça fait partie de nos valeurs», dit Mélissa Hébert, qui vient de se procurer un chapeau fait à la main pour sa petite Stella, neuf mois. «Contrairement aux magasins à grande surface, ici on peut parler au fabricant, renchérit son conjoint, Marc-Antoine Jacques. On voit que l’argent qu’on lui donne va directement dans ses poches.»
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Il est vrai qu’il y a quelque chose de spontanément séduisant dans le fait d’acheter des produits d’ici, à des gens d’ici. Non seulement vous injectez de l’argent dans l’économie locale, mais vous participez aussi à la réduction de la pollution liée au transport des marchandises, en plus d’encourager des conditions de travail respectueuses.
Cette poussée de patriotisme est bien réelle : 54 % des Québécois affirment consommer localement de manière fréquente, selon le Baromètre de la consommation responsable Édition 2018, qui fait état d’une hausse de la proximité comme critère d’achat depuis 2010. Une tendance qui s’est cristallisée partout au pays dans la dernière année, alors que le bras de fer commercial entre le Canada et les États-Unis, dans le contexte du nouvel Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), a poussé une vague d’internautes à s’engager à «acheter canadien» au moyen du mot-clic #BuyCanadian.
«L’auberge espagnole»
Mais encore faut-il savoir ce qu’on entend par achat «local». Si les produits de l’érable vendus au marché Puces POP ont tout du local, qu’en est-il des chocolats fins du kiosque voisin, concoctés rue Gounod, à Montréal, à partir de fèves de cacao d’Amérique du Sud? Un bien de l’Ouest canadien est-il plus local que celui qui vient du sud de la frontière, à quelques kilomètres du Québec? Et faire ses emplettes chez un détaillant étranger, mais dont le siège social est ici, ça aussi c’est consommer local?
Pas simple de s’y retrouver, admettent les experts. D’autant plus qu’il n’existe pas de définition unique et formelle de ce comportement d’achat. «C’est l’auberge espagnole. Le local, ça devient ce que chacun veut y voir», résume Joëlle Noreau, économiste principale au Mouvement Desjardins.
Pour la plupart des consommateurs, l’achat de proximité serait surtout lié à la distance qui les sépare d’un produit. Mais pour d’autres, l’origine d’une entreprise, les emplois qu’elle préserve, l’emplacement de son siège social ou la responsabilité sociale dont elle fait preuve comptent aussi.
C’est la distance moyenne – soit l’équivalent du trajet Montréal-Miami – parcourue par les produits alimentaires en Amérique du Nord.
Source : Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois, 2008.
Une question d’étiquette
La question de l’identité nationale en consommation a taraudé Frédéric Choinière, qui a réalisé, en 2017, la série documentaire Ma vie made in Canada (premier épisode gratuit sur ICI Tou.tv). Pendant un an, le journaliste québécois s’est prêté au périlleux exercice de n’acheter que des biens fabriqués au pays. «Comme il n’y a pas de définition officielle de l’achat local, je me suis rabattu sur ce que dit le Bureau de la concurrence», explique-t-il en entrevue.
L’organisme fédéral propose deux mentions officielles – et facultatives – pour aider les consommateurs à reconnaître un produit canadien : «Produit du Canada» et «Fait au Canada». La première signifie que la presque totalité (au moins 98 %) du processus de fabrication a été réalisée au pays. Pour la seconde, le seuil est fixé à 51 %. Dans les deux cas, la dernière transformation substantielle doit avoir eu lieu à l’intérieur des frontières canadiennes. Un produit transformé au pays est donc aussi considéré comme local. Avec raison, estime l’économiste Joëlle Noreau : «La transformation est souvent la partie la plus coûteuse du produit, et contribue à beaucoup d’emplois», dit-elle.
Au Québec, il n’existe pas de certification équivalente à celle du Canada, qui pourrait s’appliquer à tous les produits d’ici. Plusieurs initiatives encouragent néanmoins le fait local dans la province, dont les signatures «Aliments du Québec» et «Meuble du Québec».
Une diète à moins de 160 km
L’achat local est souvent associé à la distance franchie par un produit. C’est d’ailleurs ce que préconise le mouvement locavore : manger des aliments qui ont poussé dans un certain rayon. La distance de 100 miles, soit environ 160 km, est souvent citée. Elle a été popularisée en 2007 avec la publication de The 100-Mile Diet. L’ouvrage documentait le quotidien de deux trentenaires de la Colombie-Britannique qui se sont nourris exclusivement de produits locaux pendant un an.
Moins restrictive, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) va dans le même sens. La mention «local» désigne les aliments produits dans la province où ils sont vendus, ou dans un rayon de 50 km à l’extérieur de celle-ci. Mais le défi reste entier. En Amérique du Nord, les aliments parcourent en moyenne 2600 km – soit l’équivalent du trajet Montréal-Miami – avant d’arriver dans votre assiette, estimait la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois dans son rapport publié en 2008.
L’un des objectifs derrière cette philosophie : réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées au transport, entre autres causées par la consommation d’essence, la réfrigération des camions ou encore la congestion sur les routes. Un argument que rejette le géographe Pierre Desrochers, fervent critique de l’achat local. Dans son ouvrage The Locavore’s Dilemma: In Praise of the 10,000-mile Diet (publié en 2012), le professeur de l’Université de Toronto plaide pour la production d’aliments à grande échelle dans des régions où le climat est propice à un bon rendement. Cela serait avantageux notamment au Québec, où chauffer les serres en hiver demande beaucoup d’énergie. «La majorité des émissions de CO2 ne proviennent pas du transport, mais de la production», martèle-t-il en entrevue. C’est pourquoi il prône l’achat d’aliments locaux... de saison.
L’économiste Germain Belzile, chercheur associé senior à l’Institut économique de Montréal et enseignant à HEC Montréal, relativise lui aussi l’importance de l’achat local : «Si vous avez aujourd’hui un niveau de vie élevé, c'est en bonne partie parce qu’on exporte les choses dans lesquelles on se spécialise, et qu’on importe celles dans lesquelles on est moins bons», explique-t-il. Autrement dit, c’est le libre-échange qui permet collectivement de s’enrichir.
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Le facteur humain
Mais il y a plus : les adeptes de l’achat local le sont aussi pour des raisons sociales, environnementales et de santé. Dans ses travaux, l’anthropologue Manon Boulianne s’intéresse aux avantages de l’achat local et de l’approvisionnement en «circuits courts», qui implique tout au plus un intermédiaire entre les producteurs et les consommateurs.
Pour la professeure d’anthropologie à l’Université Laval, «on ne consomme pas local parce que c’est à la mode, mais parce qu’on s'intéresse aux conditions de fabrication de nos biens et de nos aliments. Sont-ils produits avec beaucoup de pesticides? De manière biologique? Quelles sont les conditions de travail et de vie des travailleurs?» Un contact plus direct avec le maraîcher ou le fabricant, soutient Manon Boulianne, vous permet d’obtenir davantage d’informations sur les pratiques d’une entreprise et d’avoir un meilleur accès à des biens ou des aliments produits de manière responsable.
des Québécois affirment acheter localement de manière fréquente.
Source : Baromètre de la consommation responsable Édition 2018.
Dis-moi où est ton siège social
Du côté des entrepreneurs, l’achat local ne se limite pas à la provenance ou au processus de fabrication d’un produit. «C'est aussi encourager les commerçants d'ici, qui ont un siège social ici», soutient Audrey Morissette, propriétaire des boutiques Vestibule et Vestibule Mini, situées dans le Mile-End, à Montréal. Selon la commerçante de 31 ans, son entreprise contribue à la vitalité du quartier, encourage l’achat de produits québécois et canadiens, en plus de créer de l’emploi.
En parallèle, rester au Québec peut être un défi pour les grandes entreprises d’ici. Le Cirque du Soleil, Rona et St-Hubert ont toutes été vendues à des intérêts étrangers ces dernières années. Et la fuite de ces fleurons québécois en a fait hurler plus d’un. Mais tout n’est pas perdu si le siège social demeure dans la province, comme c’est le cas avec Rona, qui conserve le sien à Boucherville, nuance Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Après tout, le siège social est au cœur des décisions stratégiques d’une entreprise et emploie beaucoup de fournisseurs qui gravitent autour. Plusieurs observateurs voient toutefois la conservation du siège social au pays comme une mesure fragile et transitoire. En effet, rien ne garantit qu'une telle mesure sera maintenue à long terme.
En fin de compte, comme consommateur, si vous détenez plusieurs clés pour favoriser l’économie d’ici, vous serez toujours soumis aux conséquences des décisions d’affaires qui se prennent à huis clos. Notre grand dossier vous donnera tout de même une multitude de pistes pour soutenir votre élan patriotique! Lisez tous nos articles sur l'achat local: alimentation, alcool, produits d'entretien ménager, soins personnels, meubles, quincaillerie, véhicules et ce qui est le plus difficile à trouver.
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